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Tours Acides 11 (chap 2 - ptie 6)

Publié le par Scapildalou

Tours Acides 11 (chap 2 - ptie 6)

[Début du récit]

[Début du chapitre]

[Partie précédente]

 

*

Après la mission ayant coûté la vie à Doynel, Maria qui avait bien entendu passé sous silence sa trouvaille notifia néanmoins dans le rapport l'existence de ruines sans aucun doutes faites de béton, expliquant le nombre de débris probablement d'origine artefactuelles ayant causé le blocage du 'pipe'. La DRP insista pour qu'une reconnaissance y soit effectuée par l'ensemble de l'équipe de Niriqua et Maria rebaptisée pour l'occasion, de façon informelle, 'équipe 38'. L'objectif était surtout de déployer des détecteurs de métaux puisque les différentes activités de la tour en étaient friandes mais disposaient d'accès à cette ressource uniquement par le biais des ruines des anciens temps. Un BT2P (Bathyscaphe Transporteur de Personnel Plongeur) allait transporter les membres de l'équipe participant à l'excavation et un BEXT (Bathyscaphe Excavation et Transport de Minerai) viendrait éventuellement amener des renforts et récupérer tout ce qui pourrait être retiré. Durée de la mission : deux jours et demi sur place, au minimum. Après avoir été briefé, chaque équipe s'éloigna vers sa salle d'habillement scaphandre.

Maria n'avait pas eu le temps de rapporter à Lauma les confession de Kluyvert sur son entrée dans l'Ordre lorsque quelques jours plus tard, elle endossait les écouteurs du sous-scaphandre à l'aide de Lauma.

-desserres un peu, avec la pression et l'humidité, c'est un coup à chopper des boutons si tu restes plus d'un jour avec ça.

Lauma, d'un geste sec, ajusta le serre-tête contenant les écouteurs et une partie de l'ordinateur de casque.

-Tu es prêtes, on peut passer au scaphandre ?

Maria se tourna vers la porte donnant sur le couloir, Kluyvert sortait déjà lui aussi avec son assistant, laissant les deux femmes seules. Lauma retint sa compère, lui souleva les écouteurs et murmura contre l'oreille

-l'autre là, je te le dis, cette fois c'est sûr de sûr : il est de l'ordre

-oui... il me l'a dit.

-quoi ?! S'écria presque Lauma. D'un geste violent, elle retourna Maria et la poussa sèchement à l'aide d'une tape sur les fesses vers la porte de sortie. « Gaffe à toi » murmura-t-elle.

 

Tours Acides 11 (chap 2 - ptie 6)

Le BT2P était un tube d'une dizaine de mètre de long, guère plus. Dans le compartiment avant, scellé, deux membres d'équipage pilotaient l'engin. Les scaphandriers, eux, devaient garder leur tenue hermétiquement close durant tout le temps de la mission. Une banquette métallique de part et d'autre de leur compartiment cylindrique permettait de s'asseoir mais en terme de confort, rien d'autre n'était prévu. Le plancher du bathyscaphe s'ouvrait directement sur la mer (d'où l'obturation du poste de pilotage protégeant les pilotes des vapeurs de l'océan). En fait de nourriture, les plongeurs recevraient seulement des pilules ou des gels liquides à l'aide des tuyaux du casque ; ils devraient se contenter, pour dormir, de la banquette et demeurer en position assise dans ce tube d'à peine deux mètre de diamètre permettant tout juste de loger les six scaphandriers de la mission. Les pilotes, un peu mieux lotis, avaient une banquette consistant en un siège incliné sur lequel ils pouvaient dormir à tour de rôle en plus de se sustenter d'une nourriture solide.

 

Pour entrer par la trappe ouverte sous le ventre du sous-marin, les scaphandriers plongeaient un par un dans la piscine et gagnaient à l'aide de leur module individuel le dessous du bathyscaphe à moitié immergé et retenu, jusqu'à ce que soit donné l'ordre de départ, au plafond de la piscine par de solides chaînes. Les plongeurs de la 3, au lieu de se faire soulever par dessus le rebord du bassin, se flanquaient à l'eau via une piste faisant office de toboggan. Ils avaient pour "tradition" de se laisser glisser à la baille en prenant une pose bouffone assortie de quelques mots vulgaires – certains avaient baptisé cette coutume « la prière ». Novak, se jeta à plat ventre en poussant un cri, à sa suite Douga fit un pas de danse l'amenant à glisser elle-aussi, tandis qu'elle reprenait une chanson populaire – elle finit dans l'eau les bras et jambes en croix. Seul Kluyvert se retint de faire une pitrerie. Il se contenta d'une simple glissade assortie d'un "puisqu'il faut y aller". À sa suite, Carsten se retourna vers Maria :

-on a oublié le sens de la déconne dans l'équipe 8 ?

-c'est toujours comme ça à la '3', ou bien c'est un accueil spécial ?

-là ? On est calme... répondit Carsten, les bras en croix. Il se laissa tomber sur le dos et glissa la tête la première dans le bassin.

Maria avança enfin à son tour. Le plongeoir étant mouillé elle perdit l'équilibre avant de rejoindre la baille à son tour dans une glissade d'autant plus bouffonne qu'elle était involontaire. Elle démarra, un peu sonnée malgré la protection du scaphandre, son module individuel. Dans les écouteurs, on pouvait entendre les rires des assistants restés sur le bord de la piscine et amusés de la cascade dont elle venait de les gratifier à son corps défendant. Elle se glissa sous le ventre du bathyscaphe, saisit une échelle puis une main tendue par Carsten à travers la surface pour grimper dans le ventre de l'engin. À l’intérieur, les autres scaphandriers la regardaient, les yeux interrogateurs. Douga lui demanda l'objet des rires.

-ça vous regarde pas... répondit Maria avec un brin d'ironie dans la voix.

Les assistants branchés sur le canal des scaphandriers rirent de plus belle en entendant l'échange.

Dans le bathyscaphe, les pilotes demandèrent la confirmation de la présence de toute l'équipe à bord. L'échelle fut repliée et la trappe fermée. Le sous-marin ouvrit les attaches le retenant aux chaînes ; d'un coup, il perdit un bon mètre. Les scaphandriers, dans le fuselage, seulement attachés par une sangle métallique et réduits à attendre d'être sur les lieux de la sortie dans le confinement le plus total furent secoués, en dépit de leur attirail. Après les autorisations et checkings successifs, le sous-marin plongea jusqu'au niveau de la porte de sortie. Les vibrations causées par les courants marins secouèrent derechef les plongeurs. Dans les écouteurs, Douga, un peu sarcastique, annonça que « la partie de balançoire commençait ». La pilote, entendant la conversation donna à ses passagers les dernières prévisions maritimes. À la surface sévissait une tempête : des creux de cent mètres et des vents à deux cent à l'heure déferlaient. Dans un secteur, des 'pipes' avaient dû être arrêtées à cause des courants. Mais selon le dernières prévisions, la zone d'opération serait plus calme.

Malgré les annonces rassurantes, le bathyscaphe continuait à trembler sous les coups. La trappe de la cellule par laquelle étaient montés les scaphandriers sautait légèrement en laissant passer des petits paquets d'eau s'accumulant au fur et à mesure. Les plongeurs, au début, ne cessaient de se blaguer méchamment les uns les autres mais ceux qui n'avaient jamais navigué dans ce bathyscaphe commençaient à prêter le flanc en laissant paraître leur inquiétude. À force d'être secoués, tous arrêtèrent de déblatérer pour ne plus exprimer que des soupirs et des jurons à chaque vibration. La seule façon de passer le temps, finit par affirmer Maria à la façon d'une donneuse de leçon, était de couper les micros et récepteurs-équipe et de rester seulement branché sur les fréquences externes – sous entendu, elle leur coupait la chique en cessant d'écouter les jérémiades et chouinements. Elle s’exécuta en coupant sa réception et ferma les yeux pour se reposer et lutter contre les effets nocifs des secousses dont la répétition finissait par donner le mal de mer ou des migraines. Son groupe allait sans nul doute se lâcher sur elle, une fois les écouteurs coupés, quoique le cas de chefs affirmant couper une fréquence-équipe pour en fait écouter en douce ce que disaient les autres membres s'était déjà vu. Carsten avait raconté lors d'une réunion collective comment un de ses anciens équipiers avait ainsi insulté son chef qui venait d'affirmer avoir coupé ses écouteurs, dans un assortiment personnel de menaces envers la mère de ce chef et en détaillant le programme qu'il disait destiner à la pauvre dame. Un an plus tard, le type fut arrêté : non seulement le chef avait tout entendu, mais en plus, il faisait partie de l'Ordre. Le scaphandrier avait été relégué pionnier avec un niveau d'oxygène de 50%, jusqu'à la fin de ses jours  ; depuis, les critiques des chefs, même s'ils disaient avoir quitté la fréquence, s'étaient faites rares

 

 

*

Tours Acides 11 (chap 2 - ptie 6)

Maria n'avait pas différé la coupure de sa radio, ce n'était pas son genre. Elle se doutait bien que son équipe continuerait de communiquer sur la fréquence mais elle chassa cette idée : imaginer Kluyvert ne pas perdre pas un mot de ce qui était dit pour ensuite dénoncer ses collègues lui soulevait l'estomac plus sûrement que la séance de voltige qu'ils encaissaient.

S'évader en pensée de cette gangue sous-marine à peine étanche qu'était le bathyscaphe pour gagner en imagination un endroit calme relevait du défit. Les secousses transmises par la coque du sous-marin, en fermant les yeux, elle les transformait en mouvement de foule dans un concert. Les yeux clots, elle se passait de mémoire une sorte de bibliothèque musicale personnelle pour se transposer sur une piste de danse, une fosse dans laquelle un public se mouvait au son de morceaux calmes, un peu à la façon dont la vase des fonds marins serpentaient au rythme des courants doux. Dans la tour, le mot 'évasion' avait perdu son aspect matériel pour devenir synonyme 'd'imaginaire'. Plus jeune, elle se rendait en douce dans des concerts interdits pour son âge ou clandestins ou les deux à la fois. Elle s'y rendait par « des tunnels » permettant de gagner frauduleusement des zones à forte densité d'oxygène. C'est là qu'adolescente, son enfance s'épuisant, énervée et dynamique, elle avait gagnée avec ses fréquentations d'alors des parties de la tour au sein desquelles il lui avait fallu ensuite des années pour revenir. Mais ces espaces avaient depuis perdu le goût que la transgression leur donnait. Elle ne retrouvait cette saveur que dans les concerts intimes qu'elle improvisait pour faire passer le temps lors des moments tendus.

Devenir scaphandrier avait été une façon de continuer les transgressions mais d'une autre manière. Dans la tour, à sa connaissance, il n'y avait guère d'autre métier ou activité affranchit de la lourdeur et de l'oppression causée par l'incessante présence immédiate et contiguë des corps, ce confinement en espace restreint emplis d'autrui en sueur. Ses collègues plongeurs étaient peut-être épuisants par leur sarcasmes puérils et continus, mais ils étaient le prix à payer pour fuir un monde fait de proximité ininterrompue. A sa connaissance, tous les métiers permettaient des transgressions mais aucun n'offrait la verticalité et l'absence directe de ces limites qui partout dans la tour vous obligeaient à faire comme s'il ne vous en coûtait pas d'être collés aux autres constament. Comme si vous n'aviez rien à faire de ne pas avoir envie d'avoir à la fois quelqu'un devant, derrière et sur les côtés pour se rendre au réfectoire. Comme si vous aviez rien à faire de s'en aller boire des verres ou de traverser des salles bondées sans que la vue ne porte plus loin que la tête des personnes immédiatement devant vous, des têtes surplombant des torses contre lesquels la pression de la masse vous collait. C'était pour ces raisons, malgré la difficulté des épreuves et une fois acquis l'obligation d'avoir à se séparer de ses dernières amies, vestiges des souvenirs de sa jeunesse finissante, qu'elle s'était accroché, au-delà de ce qu'elle pensait pouvoir faire, pour enfin devenir scaphandrière.

Il fallut trois heures pour gagner la zone des 'pipes' où Doynel avait laissé sa peau et même un peu plus. Les courants avaient déporté à plusieurs reprises le bathyscaphe, les pilotes avaient eu le plus grand mal à tenir le cap. La bonne nouvelle consistait à savoir qu'au niveau du sol, les courants étaient plutôt doux bien qu'irréguliers. Selon les informations livrées par la pilote, le bathyscaphe était à une cinquantaine de mètre du plancher mais le télémètre ne pouvait fournir plus de précision, le sol visqueux absorbait le laser sans en renvoyer l'essentiel des ondes. L'équipage envoya « la gamelle », une lumière vive tournée vers le bas pour accompagner la descente des plongeurs. En éclaireur, Maria passa en premier par la trappe ventrale désormais ouverte et se laissa glisser vers le fond. Après une dizaine de mètres seulement, le faisceau de la « gamelle » n'était déjà plus visible, à peine persistait dans l'obscurité un disque blanc s'atténuant au fur et à mesure que les eaux acides se refermaient sur elle. Une dizaine de mètres encore et elle fut cernée d'un noir total. Malgré sa combinaison et le système thermique, elle ressentait le froid glacial jusque sur la peau, à l'intérieur même de son sous-scaphandre – ses vêtements de corps étant trempés de sueur. Pour l'instant, tenant au dessus de sa tête son module individuel pour freiner sa descente, elle ne pouvait régler la température. Au moins le froid allait-il un peu la réveiller – elle se demandait si elle n'avait pas fini par réellement dormir durant le trajet. Un peu de vapeur naissait à l’intérieur de son casque. Un léger courant fit trembler son scaphandre. Autour d'elle : le noir complet, dans lequel elle chutait doucement, accrochée à son module. Dix mètres de plus. Le noir, rien que du noir sinon de rares particules grises en suspension dans l'eau. Son télémètre s'affola enfin, il indiquait douze mètres – elle descendait trop vite, elle eut tout juste le temps de faire donner à fond le moteur du module, pour amortir l'impact mais c'était trop tard. Elle s'enfonça dans la fange jusqu'au bassin – le 'pipe' n'avait visiblement pas encore aspiré cette zone – mais un substrat solide sous la vase vint néanmoins cogner ; le choc se répercuta dans sa colonne vertébrale. En tombant ainsi, elle avait soulevé des volutes de vase denses dont les circonvolutions semblaient fuire vers là d'où elle venait.

Maria régla le chauffage du scaphandre et fit donner un peu de ventilation, avant de prévenir la pilote du bathyscaphe :

-Yus 1 ici, à For-Yus, j'ai atteint le fond – chute de 75 mètres, j'ai dévié de 20 mètres environ dans votre sept/trois-quart.

Tours Acides 11 (chap 2 - ptie 6)

La pilote du sous-marin relaya ses coordonnées de descente. À peine cinq minute plus tard, les scaphandriers étaient tous au sol, équipés de détecteurs de métaux et de piques. La technique consistait à quadriller une zone, chaque scaphandrier était éloigné de cinq mètre de son collègue et recherchait la présence de métaux, puisque c'était le principal objectif de la mission, en plus de relever la présence éventuelle d'autres artefacts, surtout s'ils étaient en béton et s'ils étaient exploitables. Un drone filoguidé depuis le bathyscaphe surplombait les scaphandriers. Quelques années auparavant, la direction de la tour avait essayé de remplacer les plongeurs par des drones, mais la radioactivité de l'eau et la difficulté à créer des programmes permettant de faire en sorte qu'ils tiennent des trajectoires complexes ou ne rendent compte des anomalies de terrains avait fait mettre un terme à l'expérience. Les groupes de plongeurs avaient présomptueusement été réduits en vus de leur suppression mais, conséquence de l'inefficacité des drones, un large recrutement avait dû être conduit. C'est durant cette sélection que Maria, la plus jeune plongeuse jamais entrée service et avait intégré les équipes. Depuis, les drones filoguidés étaient déployés pour servir d'appuis ; quelques drones autonomes étaient parfois de sortie dans des situations hasardeuse, au moment de tempêtes. Mais les radiations finissaient toujours par les mettre à mal et mettre en oeuvre des scaphandriers était encore la meilleur solution.

Pour cette sortie, l'équipe était composée de Novak, Douga, Carsten, Kluyvert et, en plus de Maria, du plus jeune, récemment sorti de la formation, Eponé, principale cible des moqueries, bizutage oblige, jusqu'à ce qu'un plus jeune soit recruté. Il fut néanmoins le premier à demander assistance pour un détail sous-marin dont il avait peine à identifier la teneur. Kluyvert vint à sa rencontre, le reste de l'équipe suivait leurs échanges par radio. Il s'agissait visiblement d'une sorte de grille de métal. À l'aide de leurs « soufflante » (une pompe dont le tube pouvait inspirer ou expirer de l'eau avec force) il dégagèrent progressivement l'objet. Maria continuait d'avancer, quadrillant la zone devant elle tout en écoutant la conversation :

-il y a une sorte de masse... bleue... je ne vois pas bien, décrit Eponé. C'est pas du métal...

-c'est du plastic fondu, tu peut essayer de le soulever, il n'y a aucun risque, fit Kluyvert, avec une voix calme.

-le reste, c'est du métal un peu rouillé, on dirait... une minuscule cage ! For-Yus, vous pouvez amener le drone ? Je vais y placer au moins le plastic, il y en a bien pour plusieurs kilos agglomérés...

Le pilote du drone confirma.

Eponé interpella Kluyvert sur un détail étrange :

-la cage, c'est comme si elle avait une roulette... non, deux !

Les deux hommes dégagèrent encore l'objet à l'aide de leurs soufflantes.

-je vois, fit Kluyvert, c'est une de ces cages avec lesquelles, dans les anciens temps, les anciens déplaçaient leurs affaires ou les vivres qu'ils allaient chercher dans les stocks de biens

-les « magasins » fit Novak qui n'avait pas perdu le fil de la conversation

-exact, les « magasins ». Souvent il y avait, au devant, une place sur laquelle ces cagettes à roue étaient placées en rang. Ça expliquerait pourquoi c'est plat par ici. Yus 1, je crois qu'on tient quelque chose ! Ces places étaient bétonnées, on a peut-être affaire à un de ces « magasins ». On fouille la zone ?

Maria autorisa Kluyvert et Eponé à rechercher des décombres et identifier la nature du sol. S'il s'agissait en effet d'un de ces bâtiments, souvent situés à la périphérie des anciennes zones d'habitation, au moins y trouveraient-ils du métal – rouillé mais néanmoins une fois la refonte effectuée dans les fours à compression de la tour, on pourrait de nouveau en faire quelque chose. Au demeurant cette place serait un endroit intéressant pour que le bathyscaphe vienne se poser, le sous-marin y trouverait une zone où se laisser choir pour économiser ses batteries. Kluyvert et Eponé, après avoir exploré les alentours, trouvèrent en effet les fondations d'un ancien bâtiment ; par contre tout venait visiblement d'être arraché par un 'pipe' – peut-être celui qui avait été bouché par ces gravas et dont la réparation avait coûté la vie à Doynel. L'équipe fut dirigée vers la zone pour en dégager le maximum de gravas, tandis qu'ordre était donné au BEXT d'appareiller afin de venir récolter les trouvailles. Au fur et à mesure, d'anciennes poutres métalliques étaient dévoilées par les détecteurs de métaux - des résultats prometteurs.

-comment tout ça a pu échapper aux précédentes recherches dans la zone ? demanda Eponé

La grosse voix de Novak expliqua que ces « magasins » se trouvaient souvent à l'extérieur d'anciennes zones résidentielles ; un lieu de vie non loin avait été fouillé il y a quelques années, mais cet espace, parce qu'excentré, avait pu échapper aux précédentes recherches.

-pourquoi excentrer ces zones, si les gens d'alors venaient y chercher leurs vivres ? Questionna encore Eponé

-les civilisations d'avant étaient marchandes, l'excentration des lieux de vivre étaient peut-être une façon d'accueillir les visiteurs, une sorte de message pour montrer la puissance des lieux de vie, une façon de dire « tu vois, ici, il y a plein de ressources, nous sommes puissants ».

-C'est probablement pour cette raison, renchérit Kluyvert, que ces zones plates sur laquelle tu a trouvé la cage roulante, étaient souvent remplies, de ce qu'on a trouvé, d'engins de déplacement.

-des engins de déplacement ?

-Les anciens n'avaient pas ou peu d'équivalents de bathyscaphes – mais les contraintes du déplacement de l'air faisait que c'était peut-être plus dur de réaliser des mobiles de grande taille et de toute façon, visiblement, les espaces étant grand à l'époque, les mobiles étaient plus petit - paradoxalement. On y tenait à 3 ou 4 en général, de ce qu'on sait. Par contre ce sont de véritables sources de métaux.

-on appellait ça, je crois, des "bagnalées", précisa Carsten

-des "bagnoles", corrigea Novak

Tours Acides 11 (chap 2 - ptie 6)

Maria, jusqu'alors s'était tue – elle avait trouvé un objet non métallique qu'elle avait fourré dans un espace de sa combinaison. Dans le noir, en dépit de leur proximité, les lumières des autres étaients à peine visibles. Elle en avait profité pour cacher la chose – peut-être les autres faisaient-ils de même pensa-t-elle. Néanmoins, à présent, elle avait à se concentrer de nouveau sur le reste de la mission. Les conversations, quoique intéressantes, empêchaient de communiquer avec For-Yus ou avec Contrôle 1 si celui-ci venait à se manifester et, vue les tempêtes en cours dans les zones mitoyennes, mieux valait ne pas passer à côté d'un message urgent, surtout pour un cour d'histoire spéculative. Elle demanda donc la discipline radio, se justifiant de possibles messages annonçant l'arrivée d'une tempête. Le silence réglementaire revint immédiatement. Enfin, elle pouvait de nouveau retrouver le silence et mieux apprécier le vide autour d'elle. Pour des personnes ayant toujours vécu dans des espaces confinés et emplis de bruit, se trouver dans le noir le plus complet avec seulement quelques centimètres devant soit pouvait faire naître des angoisses chez les nouveaux, et même parfois chez les plus anciens. La radio avait tendance à être utilisée pour maintenir un lien dans cette solitude que plus personne n'était habitué à vivre alors que, disait-on, dans l'ancien temps, certain mourraient de solitude. C'est du moins ce que ne cessaient de seriner les émissions de télévision de l'Ordre. L'école de scaphandrier, pour sa part, sensibilisait aux effets de la solitude ; certains médecins appuyaient sur la nécessité du lien. L'humain n'est pas fait pour les grands espaces, répétaient-ils, et les scaphandriers étaient d'ailleurs suivis pour mesurer les effets de la solitude causée par la nature de leur métier sur leur intégrité mentale. Maria savait qu'elle était déjà atteinte de certains troubles : déficit de parole, envie de solitude, envie de silence, attrait/dégoût pour la violence, dégoût pour la nourriture, autant de symptômes qu'elle essayait de cacher comme elle le pouvait. Un cris d'étonnement vint la tirer de sa rêverie :

-Yus 4, je crois que j'ai un gros morceau, vous avez ma position ?

Yus 4 était l'indicatif de Douga ; les quatre membres de l'équipe n'étant pas sur le lieu de l'ancien « magasin » retrouvèrent tant bien que mal sa position dans le noir. La lumière du scaphandre de Douga, de loin, permettait de voir en négatif le reste d'une grosse carcasse, squelette métallique d'une dizaine de mètres de long. Il s'agissait d'un de ces anciens mobiles dans lesquels se déplaçaient, en collectif, les personnes de l'ancien temps.

-Qu'est-ce qu'il fout là, ce genre de trucs se déplaçaient en principe sur des couloirs bétonnés, il n'y a rien en dessous... remarqua Carsten

-peut-être que celui là pouvait sortir des couloirs de béton ?

Maria arriva sur zone. Les deux extrémités du mobile collectif étaient faits de grandes ouvertures. Devant le regard étonné de Carsten, elle pénétra par une d'entre elle après avoir remplit de gaz les ballastes de son scaphandre pour l'alléger.

-Hé, fais gaffe, cheffe, on sait jamais avec ces trucs là, hein...

-Aucun risque, Carsten...

-il y a des trappes sur le côté, avec des... il y a des choses dedans. Des résidus de plastic, fondus. C'était un mobile de transport de vivres ?

-Je crois pas, répondit Maria. C'était plutôt un mobile de transport collectif...

De sa main, elle venait d'enlever la boue recouvrant ce qui avait semblait avoir été un morceau de siège ou de banquette. Des restes de vêtements humains rongés par la mer acide s'étaient dégagées. Un autre objet apparu, métallique celui-ci. Elle le rangea en vitesse dans un recoin de son gant. Il s'agissait d'un mécanisme portatif datant d'avant l'ère numérique indiquant l'heure. Avec un peu de chance, préservé par les éléments, on pourrait encore y voire quelque chose d'inscrit en ancienne écriture. À peine avait-elle finit son mouvement que la lampe inquisitrice d'un scaphandre vint la fixer à travers les espaces de côtés – probablement d'anciens hublots protecteurs faits de grandes vitres fines.

C'était Novak, et sa voix était encore plus sombre que d'habitude :

-tu as trouvé quelque chose ?

-oui... des restes d'habits...

Elle en montra un exemplaire.

-terrifiant, répondit Novak. Ça veut dire que des gens sont morts dedans... à moins qu'on les y ait amené, ceci-dit.

Maria continua à fouiller parmi les restes de vêtement dans lesquels avaient vécu des humains. Un objet vint briller sous sa lampe :

-je crois qu'ils sont morts ici, Novak.

Elle sortit l'objet et tendit sa main vers l'extérieur. Novak tandis les siennes pour le recueillir. Elle lâcha dans les mains de son co-équipier un petit objet étonnement brillant, en forme de cône, quoiqu'un peu aplatit.

-c'est quoi ?

Douga l'avait rejoint

-ça, expliqua-t-elle, c'est un de ces projectiles qui étaient tirés par des tubes seulement destinés à tuer – c'est l'origine des pistolets, mais les anciens ne s'en servaient pas pour peindre ou fixer des rivets, ils s'en servait pour se canner.

-ça veut dire quoi ?

-ça veut dire que les personnes qui étaient dans le mobile se sont faites tuées alors qu'elles étaient transportés...

 

[Suite, et fin du chapitre]

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