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Les limites de l'analyse systémique

Publié le par Scapildalou

Commentaire introductif : l'article à l'origine commençait par cette phrase-ci : "Qui se moque encore vraiment de ce que l'analyse systémique peut nous apporter, de ses limites, de la façon de les dépasser ?" Et bien apparemment, un peu plus de monde que ce que je n'avais imaginé. Cet article étant le plus consulté du blog actuellement, je l'ai complété d'un autre, intitulé "Approche épistémologique des systèmes dans les sciences humaines", sur ce même blog. 

Si je posais la question de savoir pourquoi aujourd'hui cet apport théorique, la théorie des systèmes s'entend, est oublié, c'est que deux raisons priment :

1-elle fait un peu vieillot

2-l'essentiel des éléments qu'elle sous-tend font partie du background intellectuel manipulé par les analystes des milieux en sciences humaines et dans les sciences dures. On parle d'écosystème par exemple, sans se demander si cette appellation n'est pas limitante.

 

1-l'analyse systémique

J'ai appuyé sur ce blog à diverses reprises sur l'analyse systémique. Elle trouve son origine notamment dans la pensée hégélienne de la forme. Hegel, s'appuyant notamment sur Platon essaie de comprendre comment nous percevons le monde, ce que la perception veut dire et la façon dont ce que Marx nommera à sa suite « les rapports sociaux » en sont impactés. Il essaie par exemple de comprendre en une forme donnée « quelle figure [Hegel souligne le terme] l'intérieur et l'extérieur ont dans leur être. L'intérieur en tant que tel doit, tout aussi bien que l'extérieur en tant que tel, avoir un être extérieur et une figure car il est objet, ou encore, il est lui-même posé comme étant et comme présent pour l'observation », et d'évoquer plus loin le mot « système » (dans Phénoménologie de l'Esprit)

Plus tard, les psychologue et éthologistes allemands vont créer la Gestalt théorie, la théorie de la forme, postulant que tout les éléments de la réalité entretiennent entre eux des relations et déterminant ainsi cinq propriété d'une forme (continuité, distinction forme/fond, la proximité, la similitude, la bonne forme). Ces psychologues et théoriciens plus modernes qu'Hegel avaient aussi des objectifs bien plus limités, moins holistes en quelque sorte, plus réducteurs, puisque leur champs d'étude était aussi plus restreints. Leur démarche visait alors à faire ressortir des lois universelles, si minimes fussent-elle.

Les biologistes et physiciens ont largement tiré leur épingle du jeu ; en mettant en évidence le fonctionnement cellulaire ou bien grâce à la théorie du champs. L'arrivée des nazis au pouvoir a accéléré les choses : en quittant le territoire allemand pour les USA, s'est produit un mixe entre la systémique appliqué à divers champs d'études (c'est alors que Kurt Lewin va passer de la physique à la psychologie et créer la psychosociologie) et l'interactionnisme ainsi que la cybernétique naissante. Plus tard, à la fois pierre d'achèvement et baroud d'honneur, Van Bertalanffy écrira sa théorie générale des systèmes dont la première phrase est la suivante « partout, autour de nous, des systèmes ».

 

2-l'analyse systémique en sciences humaines

A vrai dire, la Gestalt théorie aura eu un impact mitigé mais des penseurs et praticiens comme Watzlawick auront contribué à lui donner ses heures de gloires entre les années 1935 et 1970 (et un peu plus en france avec le laboratoire PCS à Toulouse et son approche systémique des milieux de vie, sous l'impulsion de Malrieux)

Watzlawick en parlant de système de communication aura permis à toute une génération voir même plus, puisque l'approche systémique en psychologie thérapeutique connaît ces temps-ci un retour en force, d'analyser des systèmes au sein desquels communiquent, échangent, des personnes. Ces systèmes sont contingents, comme s'il s'agissait de petits mondes, et ils sont parfois pathologiques.

L'analyse systémique s'est très bien mariée aussi à l'étude de systèmes sociaux parfois relativement complexes comme c'est le cas pour certaines entreprises.

 

3-Les limites des limites

Mais l'approche systémique possède de réelles limites. La dernière partie de la citation d'Hegel a été oubliée (« car il est objet, ou encore, il est lui-même posé comme étant et comme présent pour l'observation ») or elle est majeur. Un système est une entité définie par un observateur. Le système n'existe que pour cet observateur ; il est créé à des fins d'étude ou au cours de rapports de pouvoirs. Dans le premier cas, à des fins d'études, en définissant un objet d'étude, en affinant l'objet de sa recherche, le chercheur va créer une entité nouvelle, il va étudier les rapports entretenus entre cette entité (un groupe, un ensemble d'éléments comme les cellules d'une tumeur par exemple) et d'autres entités (ces dernières formant « l'extérieur » évoqué par Hegel).

À l'intérieur, existe des éléments composant des systèmes mais leur spécificité systémique est relativement niée. À l'extérieur, les autres entités forment un tout et leurs spécificité est là aussi relativement niée.

Autre chose, un système est en quelque sorte la photo à un temps donné d'un état de l'objet étudié. Sa dynamique interne, pour l'occasion, ce qui fourni sa source d'énergie n'est pour l'occasion pas niée, on parle stase. En revanche, cette stase est perçue comme devant être homogène pour que perdure le système, on parle d'Homéostasie. Un système sein est un système qui a un fonctionnement homogène, ou équilibré.

Il ne faut pas oublier le second cas, celui de la définition d'un système par le biais d'un rapport de pouvoir et d'un rapport de force. En ce cas, une personne aux prises avec un ensemble d'entités engageant une luttes entre elles, va définir les acteurs de chaque camps. En définissant ces entités, l'effet va être performatif. Un exemple facile à saisir et très actuel est celui des politiques et médias qui font la différence entre 'bons gilets jaunes' et 'mauvais gilets jaunes'. Deux camps sont posés les 'bons' et 'les mauvais' posant ainsi que la définition de limites relève de la performativité, c'est-à-dire qu'elle donne une forme.

Des limites sont apparues de façon évidentes lorsqu'il a fallu, afin de mieux appréhender le fonctionnement de systèmes, s'attarder sur les sous-systèmes et sur les liens entretenus par le système et son environnement. Les limites des systèmes sont ainsi devenues sacrément poreuses pour ne pas dire superfétatoires. C'est le chercheur ou l'analyste qui définit les limites, et non les limites qui définissent le chercheur ou l'analyste. La fin du passage cité de Hegel n'a pas passé les âges, ou bien difficilement.

 

4-La signification

De plus le fait de poser des limites aidait le chercheur à poser du sens sur la question de la dynamique du système : d'où vient l'énergie, la stase, comment se fait-il qu'elle perdure, etc. En bref, chaque système avait un sens, une signification qui était attribuée par le sens commun ou par la recherche, sans réel soucis de l'origine de ce sens. L'approche institutionnelle était fortement atténuée par ce type de regard. Se perdait ainsi la question soulevée par Camus de l'absurdité, et c'est là que j'apporte mon opinion personnelle : tout système est nécessairement absurde – ce qui reviendrait en principe à révéler que l'approche systémique serait caduque, mais nous allons voir que ce n'est pas le cas.

Un système, une entité est par définition absurde et, dépressifs stoppez ici la lecture : rien n'a réellement de sens, rien ne signifie fondamentalement rien, du système solaire jusqu'à la vie. Rien n'a de sens et, ramené à une échelle de temps touchant l'infinie, tout système est amené à mourir. Non, ce n'est pas triste, ça n'empêche pas de boire des bière avec des copains, de profiter de la beauté de la nature, le regards de ses proches, de caresser son chat, etc. Même si ça n'a pas de sens et que c'est amené à capoter toute ces affaires, si elles ne « servent » à rien (critique du fonctionnalisme), nous échappent dans leur signification (critique de l'intentionnalité), elles existent par ce que nous leur donnons du sens dans des histoires collectives, faites de forces sociales, et de capacité à gérer les systèmes dans leurs contradictions. La capacité à vivre est ainsi définie dans la capacité à narguer, à travers l'ironie, cette absence de sens, et à prendre du plaisir là où le nihilisme ne verrait que destruction et marche vers la fin. Le retournement de cette négation à travers l'ironie, la capacité à faire de et des histoire(s) définit la vie. Il s'agit ici de la confrontation quotidienne au réel.

La nécessité d'objectiver, de catégoriser les éléments de notre réalité pour mieux s'approprier sa dynamique quotidienne créé la possibilité de définir des ensemble que nous pouvons désigner comme étant des systèmes. Ainsi, l'analyse systémique est nécessaire, mais elle est par trop réductrice et insuffisante.

 

5-Les conséquences de l'absurdité

Un système ne né pas d'un besoin mais il né de l'absurdité, il né de l'incapacité et de la limite d'autres systèmes historiques à assurer la fonction qui est officiellement ou officieusement la leur. D'autre part, un système est dès sa création, puisqu'il né de l'échec de la confrontation d'autres systèmes à perdurer sans lui, destiné lui-même à mourir. Un système, c'est de la cendre né sur des cendres. Tout système n'est jamais équilibré ; un système est sans cesse déséquilibré et les rares équilibres qui perdurent en son sein sont au final des pathologies. C'est une autre façon de lire Watzlawick mais ce facétieux personnage (qui a par exemple écrit des ouvrages aux titres éloquents : comme celui-ci : « comment réussir à échouer ») n'aurait peut-être pas contesté notre point de vue. En introduisant du tiers pour faire face aux blocage, ce que Watzlawick nomme 'l'ultra-solution', il montre bien qu'un système équilibré entre deux pôles en conflit ne peut évoluer que s'il est en déséquilibre. Un système est un déséquilibre le conduisant vers sa mort et même un système qui s'étend et paraît aux yeux de l'observateur en bonne santé est déjà malade de sa propre dynamique.

Il faut ainsi retenir cet aspect majeur : un système est toujours déséquilibré, et si l'on a l'impression inverse, c'est que nous ne regardons pas l'effet du temps sur le fonctionnement du système observé.

Toute cette absurdité est levée par une chose et une seule chose, le sens que lui confère l'observateur. Le sens, les significations ne sont jamais données par les situations mais par les observateurs de celles-ci, quitte à ce que ces observateurs soient parfois impliqués dans les systèmes mais revendiquent une place de personne externe. Cette mission est en principe dévolue aux scientifiques, même si de plus en plus les analystes et experts en ceci et cela lui vole sa place (mais est-ce que cela n'a—il pas toujours été le cas?)

 

 

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