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Ce qui est fait science

Publié le par Scapildalou

 

N'en déplaise à Jupiter, la science n'est pas sortie de sa cuisse et, quoique sa place en tant qu'institution soit à part, elle n'en demeure pas moins une institution, avec tous les phénomènes qui la traverse en termes de rapports de pouvoir, de création de récits, etc.

 

1-Définition de la science

La science n'a qu'un rapport lointain avec la question de la vérité en tant qu'il existerait une vérité vraie. Qu'est-ce que la science alors ?

La science consiste en un ensemble d'activités reconnues comme telles visant par la production 'un récit à rendre des objets, questions, phénomènes, processus, et liens qui régissent ces ensembles « scients » c'est-à-dire littéralement circonscrits dans ce qu'ils impliquent en termes de définition, c'est-à-dire de maîtrise dans leurs limites (et ce qui échappe de ces limites). La science, c'est la maîtrise dans le discours d'un ensemble de relations entre des choses. Auparavant situé hors du commun, ce savoir découvert par le chercheur devient conscient. Le conscient est le circonscrit dans le discours, le dis-finit (ou le définit). La science, est du conscient porté à reconnaissance d'une communauté disposant du pouvoir et de l'autorité de reconnaître ce scient, c'est-à-dire un objet, comme faisant partie d'un corpus de connaissances. Et c'est encore mieux si ces connaissances rentrent dans un savoir.

 

2-Différence entre savoir et connaissance

Je rappelle ici la différence entre un savoir et deS connaissanceS. Le savoir est un corpus doctrinaire, une vue d'ensemble des connaissances et de leurs articulations. En effet, les connaissances contiennent, en elle-mêmes, bien peu de ce qui compose leur articulation sinon au mieux entre connaissances connexes. Le savoir fourni cette ensemble d'articulation, c'est-à-dire la façon dont s'agencent entre elles les connaissances. Les connaissances sont liées à la pratique, à la confrontation du savoir au réel de l'activité quand le savoir nécessite un recul sur les connaissances. Enfin, le savoir vient d'en haut, il est objet de domination, il est ce que Nietzsche nommerait les forces réactives, tandis que les connaissances sont ce qui peuvent venir lutter contre la domination. En effet, elles sont issues de la pratique, de la maîtrise de l'acte et de l'activité par l'opérateur. Pour rappel, l'opérateur ou l'ouvrier, est « ce qui ouvre ». Ouvre quoi ? Ouvre le rideau sur une scène qui auparavant n'était pas visible du public (le mot ouvrier vient de l'italien, et désignait la personne chargée d'ouvrir les rideaux d'une scène de théâtre – je dis ça de mémoire, je laisse la lectrice ou le lecteur vérifier)

 

3-L'objet de la science

Encore une fois, le lecteur assidue de ce blog aura appris que je ne me demande pas tant à quoi sert quelque chose, mais en quoi certains s'en servent. La question est donc « en quoi » sert la science : quel est le motif de sa présence et modalités de réalisation par ceux qui s'en servent ?

La science ne sert pas à révéler par des gens bien formés et intentionnés une vérité qui pré-existerait à l'homme en tout lieux et tout temps. Même Karl Popper qu'on ne pourrait accuser d'être un socio-constructiviste avait de longue date renoncé à cette idée.

Il avait forgé le terme, hélas peu repris dans les universités, le terme de verissimilitude pour expliquer, selon lui, la spécificité de l'objet de la science (Popper, 2009, Pp 99-102). Le but de la science est ainsi de réaliser un discours visant au maximum la similitude avec ce qui pourrait être tenu pour une vérité, d'où son néologisme. L'objet de la science est donc (1) de produire du discours (2) de faire en sorte que ce discours contienne une articulation entre des objets en relation entre eux (3) au plus proche de tout ce que tout un chacun, quelles que soient les techniques, idéologies, etc. soient en accord avec ce discours.

 

4-La science comme dépassement d'elle-même

Le discours scientifique a donc deux visages nécessairement contradictoires : d'un côté ce discours se pose comme immuable puisque proche de la vérité ; d'un autre côté comme la vérité ne peux jamais être atteinte, de nouvelles recherches peuvent (doivent !) amener un discours à être obsolète. On rappellera ici la différence entre vérité et vrai. La vérité est une « fonction sociale », à savoir un discours de ce qui doit être tenue pour vrai dans son ensemble. Elle est un jugement tranché par les autorités et le pouvoir au sein des institutions. Le vrai résulte de la confrontation subjective au monde. Par conséquent, de même que les connaissances entrent parfois en contradiction avec le savoir, le vrai vient parfois contredire la vérité. Et, dans les deux cas, inversement...

Articuler vrai et vérité, connaissance et savoir nécessite un arbitrage entre des conflits latents ou existants, sinon des conflits possibles. C'est là qu'intervient le scient. Le faire et dire « sciemment », en conscience, littéralement « faire avec science », c'est-à-dire en faisant preuve d'une clairvoyance, indique par essence un flou dans lequel on tranche en attendant d'y voir plus clair.

La science est donc une position, en tant que personne agissante, d'arbitre entre des données issues de la connaissance et du savoir, questionnant le tenu pour vrai et ce qui fait vérité.

 

5-Le parler scientifique

La science est ainsi un discours sur des articulations nouvelles. Ce qui est connu n'est pas nouveau, c'est une tautologie ; la science vise ainsi la création de lien nouveaux entre des éléments dont certains, eux-mêmes, peuvent être nouveaux. La science est donc en partie une création, une réarticulation de définitions et la révélation de nouvelles définitions.

La définition est en science comme en art une circonscription d'un objet visant donc à établir une équivalence entre l'observé ou le trouvé et un discours. N'est rendu scient que ce qui est suffisamment clair à la communauté. Autrement, le discours non clair – sinon l'absence de discours – ne peut tenir lieu, par définition, de nouveau savoir.

Plusieurs types de langages peuvent supporter l'équivalence entre le découvert et la vérité. Le langage mathématique en est une forme, mais il ne peut épuiser l'ensemble des découvertes réalisées. Néanmoins, sa puissance est telle qu'il est actuellement globalement retenu comme langage premier de ce sur quoi la science doit reposer.

 

6-La valeur scientifique

En effet, la science ne flotte pas dans l'éther ; elle mets en jeu des discours existants (la vérité) avec ce qui est susceptible d'aller dans son sens ou bien à son encontre – ou les deux. Il s'agit donc d'obtenir « quelque chose » qui puisse servir de base à ce discours. On parle alors de preuve ou de fait. Ces faits résultent d'expériences, que ce soit des expériences faits par des gens en blouse blanche ou bien d'expériences de vécu telles que relatés dans des récits de vie par exemple. Le scientifique, le chercheur, mets donc un savoir à l'épreuve des faits, ou relate des faits illustrant un savoir ou un manque dans le savoir.

Une des façon d'être d'accord sur un fait est d'en établir une définition dans un langage qui soit sans trop de difficulté accepté par la communauté. La traduction de faits, de preuves etc. en termes mathématiques est une façon qui a été retenue pour objectiver au mieux les preuves. Mais les mathématiques restent un langage, et en tant que tel, jamais ils ne suffiront à traduire avec exactitude un « fait » ; par ailleurs, la traduction est une perte. Or la traduction en termes mathématiques n'est pas celle qui se fait sans le moins de déperdition de matière.

 

La mesure, à savoir donner une mesure à des choses, transcrire des limites en termes de chiffres, nécessite un étalon « métrique ». La mesure donne du « quantifiable » et du comparable : elle montre en quoi le processus de définition est toujours un processus de valorisation ; en d'autres termes, lorsque je définis une chose, je lui donne de la valeur. Mais il serait faux de croire qu'une valeur ne vaille que par rapport à un mètre étalon de même que ma tasse de café peu être traduite en termes de taille (cm), angles (degrés), contenu (cm3), de surface (cm²), de couleur, de chaleur, de densité, etc.

Pour moi, cette tasse a une valeur sentimentale. Et ce n'est en rien mesurable mathématiquement, sauf à la comparer avec d'autres objets ou avec une échelle de valeur créée ad-hoc, mais dont le mètre étalon, parce qu'il touche à de l'indéfinissable, car à du changeant, ne sera jamais parfait. En effet, contrairement à la taille et au contenu de ma tasse qui restera vrai tant que ma tasse sera sur mon bureau et en un seul morceau, mon attachement à elle sera susceptible de varier, car moi-même en tant que personne je changerai. L'identité est un concept qui existe pour donner sens à la contradiction suivante : les changements que nous vivons, en restant nous-même, nous impactent profondément, et malgré moi je reste moi en n'étant plus le même moi – bien que je reste moi... Le moi n'est pas identique au moi, je suis donc non similaire à ce à quoi nul autre que moi puisse s'identifier autant que moi.

 

7-Autorité et pouvoir

Partant, la définition de faits mathématiques dans la construction d'un savoir disciplinaire en physique par exemple ou en biologie est plutôt une bonne solution. Au demeurant, cette solution permets d'échanger sur des sujets avec un langage commun faiblement impacté par les dissensions idéologiques. Le fait mathématique se prête relativement bien à ça et les divergences entre tenants de la théorie des cordes et les tenants de la relativité ne sont, autant que je sache, point impactés par des questions politiques, quoique les questions d'égo soient en jeu, mais c'est une autre histoire.

En revanche, la définition du fait dès lors que la traduction en langage mathématique s'avère faiblement applicable, pose un problème de taille.

A ce point, les valeurs données aux faits deviennent nécessairement des valeurs du social : la façon dont je pense un fait social ne peut se résumer à des calculs ; ces derniers sont au service des valeurs et non l'inverse.

 

Ce qui fait science n'est pas seulement la vérisimilitude de Popper, mais aussi la prédictibilité des découvertes. Si une découverte ne sert pas à prévenir le futur, même dans les travaux d'historiens qui visent au final à influencer les travaux de futurs historiens par une aperture dans le langage, c'est-à-dire la mise en exergue de liens qui n'avaient été fait jusqu'à présent, alors cette découverte n'a d'usages pratique. Elle ne sert donc pas la connaissance, elle est glose pour glose : même la poésie sert d'avantage de fond moral que ce type de savoir.

 

La science agit donc fondamentalement sur les quatre domaines suivant (quoique la liste ne soit pas exhaustive) :

1-le savoir et les connaissances

2-les pratiques (et la technique, question non-abordée dans cet article bien qu'elle soit elle aussi fondamentale)

3-les valeurs

4-le futur

Or ces quatre éléments sont justement des leviers de pouvoir. La science est un élément de pouvoir et les politiques ont toujours influencé les sciences et leurs avancées. Elles sont un élément de domination à double sens : d'un côté elles sont l'instrument de construction de la réalité par le dominant qui impose par la science des faits, de l'autre elles sont un élément de contestation de ces faits par les dominés. Les sciences sont le lieu où la pratique faite science est l'acte de pouvoir du travailleur contre les faits des scientifiques, quand le dominant essaie de faire de la science un élément du décor (=dogme) qui vienne légitimer sa domination. La science fait des lois au double sens : au sens nomologique du terme (les lois scientifiques) et au sens législatif du terme. Après tout, les lois votées par le parlement s'inspirent de faits et de questions sociales révélées d'une manière ou d'une autre, et sur lesquelles on demandera aux chercheur leur avis – à moins qu'ils ne le donne sans attendre qu'on le leur demande.

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