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Ce qui est fait science (2) la question de la critique dans les sciences humaines

Publié le par Scapildalou

Bien entendu, le précédent article ne permet pas de répondre à la question de ce qui fait science en sciences humaines. D'ailleurs, la distinction entre sciences in-humaines et sciences humaines laisse un peu à désirer. La mesure dans les sciences de type astrophysique etc. est devenue un enjeu presque plus important que l'intégration des résultats dans un corpus cosmologique ou métaphysique, choisissez le terme que vous préférez.

Pour le dire autrement, les sciences physiques, biologiques, etc. dépendent désormais des instruments de mesure, donc de la technique. La technique en science constitue une sorte d'impensé ou de peu pensé car les universitaires se questionnent beaucoup sur leurs instruments de mesure qu'ils ne cessent de peaufiner. Mais cet astiquage de l'outil, si l'on me passe le double sens grivois de cette expression (sans arrière pensée aucune, je suis sincère), fait passer au second plan le rapport du chercheur à cet outil, le rapport de dépendance qui s'établit entre l'outil de mesure, le chercheur, et l'objet qu'il étudie. En ce sens, les sciences dites « dures » sont dépendantes des rapports sociaux bien plus qu'on ne pourrait le croire d'un point de vue extérieur – et je ne parle pas du fait que le chercheur en sciences « dures » qui travaille éperdument sur un objet incompréhensible du grand public, doit en général répondre à une seule question posé par tous : « à quoi ça sert ce que vous faites » - ce qui est pour lui une petite mort en continue.

Le sujet de la science et du scientifique est donc éminemment un sujet de société, y compris lorsque les instruments de mesure ne font pas de débat réel comme ce semble être le cas en astronomie par exemple, ou dans les laboratoires de biologie. Alors lorsque ce débat social se double d'un second débat qui est celui de la mesure et des valeurs dont on a vue à la fin du précédent article qu'elles sont consubstantielles de la recherche en sciences de la société et de l'homme, le crêpage de chignon peut ne pas rester une simple image.

Les sciences « dures » s'appuient donc sur la mesure et c'est suffisant pour faire du débat entre des théories antagonistes, sur quoi la science de l'homme et de ses rapport aux autrui peut-elle donc s'appuyer ?

Puisque les mesures sont sources de déperdition de l'objet étudié en science humaine comme cela a été décrit dans le précédent article, et comme ces instruments de mesure sont bien plus parcellaires que ceux des sciences dures quand bien même ils sont au mieux « calibrés » tout en relevant d'une technologie moins soutenue (manier un Khi² nécessite moins d'efforts et d'apprentissages que le de manier des instruments pour mesurer je ne sais quelle source de radioactivité) il faut alors trouver un langage commun. A défaut de langage commun, il faut s'entendre sur les différences, les divergences sur les assomptions et axiomes de départ. Cette activité se nomme « la critique ». La critique est un mode de création de connaissance par la mise en difficulté d'un savoir et de connaissances sur un matériaux constitué de connaissances autres. En quelque sorte, si je veux mesurer la qualité de mes connaissances sur un objet, il faut que je le travaille comme un forgeront frappe le fer chaud de son marteau sur une enclume. Je place donc mon savoir sur une enclume qui est en quelque sorte composé d'autrui, et les laisse frapper au marteau dessus, pour lui donner forme. Ce qui restera des connaissances que j'ai placé, ce qui aura résisté à la critique, forgera le socle de ma pensée rendue « scientifique » par le débat. D'ailleurs, ce morceau de connaissance sera imprégné des résultats du débat, quand bien même il en ressort totalement retourner. Par conséquent, la prochaine fois que je le re-soumettrai au débat, l'effet de la première critique sera elle aussi soumise à la forge.

C'est ainsi que la critique devient l'objet d'elle-même. Il n'y a pas de critique-critique et encore moins de critique de la critique-critique comme le raillait Marx. Celui-ci a montré avec force que le résultat de la critique soumise à elle-même est la synthèse.

Ce qui fait science humaine est donc le résultat du débat de ce qui est avancé, avec son cortège de preuves, de fait, d'assomptions, de plausibilités à vérifier, de résistance à la prédictibilité en fonction de prédicats, de reproductibilité des examens de faits, etc. La critique est donc l'élément nécessaire des sciences humaines, le débat et l'échange devient ce qui fait science.

Ce qui est triste, c'est que l'examen critique est dévalué au « profit ». Il est dévalué par la course aux citations dans les revues scientifiques, au nombre de consultation d'article (la volonté de faire des 'hit'), etc. Les comités de lecture sont composé de personnes (chercheurs bénévole bien souvent qui sont dans les comités de lecture pour rajouter une ligne à leur CV) qui ont à peine le temps de lire l'article qui leur est proposé, n'en connaissent guère le thème, sinon les référents théoriques qui leur sont étrangers, sont soucieux de voir certains de leurs collègues (sinon eux-mêmes) cités, sont dans l'incapacité de confronter leurs théories au terrain (l'humain et la société), et désireux de faire plier l'auteur de l'article à sa volonté, pour je ne sais d'ailleurs quelles raison...

La science humaine sans critique devient une science aseptisée, éloignée des réalités de l'humain, de son monde. Et c'est triste, en plus d'être dangereux...

 

 

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