Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Critique du constructivisme

Publié le par Scapildalou

A part Trouble dans le genre, beaucoup de militants communautaristes ne maîtrisent guère d'autres ouvrages ni théories. Que savent-ils du constructivisme, et du socio-constructivisme ?

La société actuelle n'est pas une simple « construction ». Cette construction est perçue comme telle parce qu'elle est nommée comme telle. Quels seraient les matériaux de cette construction ? Surtout derrière l'idée de construction se cache celle de l'intentionalité. C'est d'ailleurs très pratique, pour les militants, qui peuvent ainsi culpabiliser les non-membres de leur chapelle.

Je disais donc, derrière l'idée de « construction » se cache une idée d'intentionalité, comme si la construction avait résulté d'un choix. On ne dit pas par exemple que « la nature a construit », on dit qu'elle a façonné. On n'emploie le terme de construction qu'aux œuvres humaines, physiques ou sociales ; le terme est un synonyme presque exacte « d'édification ». Derrière l'idée de construction se cache celle de planification, de projection (de réalisation de projet), de réalisation d'une idée.

L'idée que tous nos actes relèvent de l'intentionalité est déjà critiquable. Sur ce blog, on a vue que l'intentionalité n'est peut-être guère qu'une lecture des actes humains, comme s'ils étaient tous rationnels dans le sens où tous se basaient sur une lecture claire du monde, du soi, et se basaient sur des idées explicitables. Mais c'est là une vue de l'esprit, une vue universitaire, une vue des comportementalistes, qui laissent l'irrationnel et l'impensé aux animaux. La raison, la pensée est consubstantielle de l'acte. La pensée vient avec l'acte autant que l'acte est pensé. Nos ressentis sont par ailleurs déjà suffisamment difficiles a expliciter, nos actes le sont tout autant. Par exemple, pourquoi est-il si difficile de décrire nos émotions avec des mots plutôt que de les coucher sur papier ? Pourquoi la description lorsque l'on écrit est bien plus difficile à faire qu'à l'oral lorsque l'on parle, alors que ce sont les mêmes mots qui devraient être utilisés ?

C'est que l'oralité répond a un ensemble de règles et de modes d'articulation logique différent de l'écrit. Les sens mis en jeu ne sont pas les mêmes, les significations non plus. A travers cet exemple, on repère l'écart entre deux modes d'expression de la pensée, et donc que la pensée est contrainte par son mode de venue à nous. On pourrait dire, ses modalités d'aperture. L'aperture de la pensée est contrainte par son mode d'expression, par le support sur lequel elle repose. La pensée n'est pas ce devant quoi nous somme, mais le langage à la fois passé et avenir, elle est écoulement du récit, fil ténu d'une image de nous même. Au final, la pensée est l'expression de notre absence au monde – si nous étions capable de penser nos actes au moment où nous les faisions, nous ne les ferions pas. La pensée est un décalage de soi avec le monde et dépend du support sur lequel elle s'exprime.

Ceci posé, on se rend compte que nous ne sommes pas responsables de nos pensées. En effet, nous ne pouvons répondre de ce que l'on pense, d'ailleurs il est assez cruel de répondre de ce à quoi nous n'avons pas pensé. Le « je n'y ai pas pensé » sincère de l'accusé (ou de l'acculé) est un aveu d'absence, de présence impossible.

Quoiqu'il en soit, nos actes ne sont jamais explicitables de façon « pure ». Croire que l'on peut justifier nos actes de A à Z est un fantasme de scientiste, un résidu du comportementalisme. Mais il est impossible de pouvoir tout expliciter de ce que nous avons fait ou de ce que nous faisons. Déjà savons nous sans bien de certitude ce qui nous meut et pourquoi nous sommes émus, alors dire pourquoi nous réagissons devrait relever de l'impossible.

Mais parce que contrairement à nos actes qui sont des apertures dans le social, nos pensées restent en nous et ne touchent pas autrui. Alors il faut accompagner cette déchirure du « non-fait jusqu'à présent » (chacun de nos acte est une nouveauté, combien même ces actes sont répétition, même s'il faut avouer que la répétition « pure » comme celle de l'ouvrier à la chaîne, est très rare dans une vie) par le symbolique, ce qui nous relie à l'autre. En ce sens, nous sommes « responsables », c'est-à-dire redevable d'une réponse de ce que nous faisons, à autrui – pour autant que nous reconnaissons autrui comme digne d'une réponse.

L'intentionalité postule une similitude entre l'acte et la parole, ce qui est bien idéaliste quand même la parole, nous l'avons vu, n'est pas toujours identique à elle-même.

L'édification, c'est-à-dire la coordination d'actes entre eux afin de dresser une structure, relève assurément de l'explicitation de la parole, de la congruence entre des actes et la pensée. Je pense à un objet, je le construit. S'il correspond à ce que je souhaitais, je peux dire qu'il traduit ma pensée. Néanmoins quel que soit le degré de similitude entre pensée et réalisation, l'usage qui en sera fait, son destin au monde, m'échappera à jamais. C'est d'ailleurs la grande erreur des architectes, à qui on reproche bien peu je trouve, de croire que leurs réalisations peuvent influencer la vie des gens dans un sens souhaité. La construction ne dit rien de ce qui sera, seul ce qui est dit de l'usage que l'on a fait de la construction témoignera au monde. Et il en est ainsi de tous les objets du « monde », de toutes les paroles, etc. En un sens, la catachrèse n'est pas l'exception, elle est la règle.

Il n'y a donc pas de constructivisme, mais une sédimentation de discours qui se fixent par strates, se fondent, se conglomèrent en solides parfois. Nos gestes, paroles, actes, traces, ne parlent pas. Nous ne parlons pas en somme, c'est autrui qui fait que ces traces parlent ou peuvent parler. Nous sommes interprétants, symbolisant, esthétisants, mais jamais l'intentionalité ne créé une œuvre. Les œuvres cumulés ne fondent pas une construction sociale, en revanche les usages qui sont fait des œuvres se sédimentes, au point d'acquérir de nouveaux sens, de s'agglomérer à de nouvelles significations. Alors déconstruire ne signifie plus rien ; faire de l'archéologie oui, encore faudrait-il se garder de croire que nos interprétation des éléments anciens ne soient sans influence de ce que nous somme et faisons. L'interprétation est toujours une nouvelle aperture : ce qui est critiqué à l'instant, devient lui-même objet de critique. En déconstruisant, je construit à nouveau.

Cette construction suivant sans intention la déconstruction nous éloigne cette fois-ci de l'idée d'édification. Dans la déconstruction, la planification perd sa place. En échappant à l'idée d'intentionalité, paradoxalement, la déconstruction peut apparaître être une chose naturelle. Tout ce qui est naturel échappe en fait à l'explication. La déconstruction des militants communautaristes est ainsi une tentative d'échapper en soi à la critique ; la déconstruction, c'est assimiler le monde à un édifice dressé intentionnellement, et se sentir en capacité de démonter brique par brique les fondements de cet édifice.

Dire que rien n'est naturel, n'est pas adhérer à cette conception du constructivisme. Encore une fois, le social est davantage, à mon sens un élément fait de strates agrégées entre elles, qui peuvent être perçues par sondages et interprétées, mais en se gardant toujours de mettre derrière ces interprétations de l'intentionalité. Hier comme aujourd'hui, l'humain a toujours fait « comme il pouvait » en se débattant dans une « réalité » lui échappant. Par exemple la domination masculine piège autant les hommes que les femmes ; la reproduction de cette domination n'est pas tant la jouissance d'une domination que l'expression d'une domination de l'homme par le masculin.

Hegel a détaillé la logique du maître et de l'esclave, et la façon dont ce dernier peut se complaire à sa place et l'utiliser. Ainsi il devient lui-même possesseur d'une certaine maîtrise. Nietzsche a davantage appuyé pour sa part sur le fait que le maître est lui aussi dominé par sa position et le souhait de la garder. La peur et la violence sont les usages du maître en passe de perdre sa place.

Croire que la déconstruction peut amener à du nouveau, c'est oublier la sédimentation sur lesquels reposent et se fondent nos attitudes, actes, et apertures. C'est nier aussi la possibilité de créer du nouveau de façon inintentionnelle, c'est replier la pensée sur la raison. D'ailleurs, le succès du thème de la sérendipité (qui a été détaillé dans un article de ce blog comme étant une défaite de l'épistémologie contemporaine) rentrerait en contradiction avec le socio-constructivisme des communautaristes.

Ainsi, l'archéologie n'est pas la simple description d'éléments sortis de la tourbe, mais aussi et avant l'interprétation de ces éléments ; en aucun cas toutefois l'archéologie peut faire ressortir les impressions, les catachrèses du quotidien, ni les pensées exactes. L'archéologie est une construction, et non une déconstruction. En faisant son archéologie du savoir, Foucault dressait une nouvelle signification. Il construisait un récit nouveau.

 

 

Commenter cet article