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Le tour d'Andorre (GRP) : Récit de randonnée (2/2)

Publié le par Scapildalou

Jour 6 : cabane du col de Montaner – St Julia : 5h30, 4/500m de dénivelé, temps doux puis chaud et lourd, avec du soleil

Je me lève et me précipite au fond du jardin. Cette fois j'ai les intestins qui commencent à ne plus tourner rond, c'est officiel.

Je reviens vers la cabane : dans la forêt autour un bruissement se fait entendre. Je fixe des feuillages : un cerf me regarde, à quelques dizaines de mètres. Il bouge tranquillement, entre les troncs, sous la canopée de plus en plus traversée par les rayons oranges du soleil.

Je range mes affaires et décolle pour entamer la dernière grimpée avant St Julia. Je vois un premier groupe d'une dizaine d'isards.

Je repense à l'Espagnole de la cabane de l'Angonella. On avait discuté du peu de gibier que nous avions chacun croisé. « c'est parce qu'il y a beaucoup de monde peut-être » m'avait-elle dit. J'avais objecté qu'à En Beys par exemple, on pouvait s'approcher à quelques mètres des izards qui y pullulent alors que c'est ultra touristique. « C'est peut-être les chasseurs » avais-je avancé puisqu'En Beys est une réserve. Elle avait fait la moue, et j'avoue ne pas non plus avoir été totalement convaincu par mon argument. Hier je n'avais pas vu de bêtes dans la forêt, VTT oblige. Je comprends alors ou du moins est-ce que je fais l'hypothèse que la présence de zone de sport d'hiver restreint les zones de vie des bêtes. Sur cette montagne, là, il n'y a aucun aménagement. Je regarde les bêtes et grimpe. Je vois d'autres troupeaux. J'arrive sur une crête – la vue est belle, je vois les montagnes du sud d'Andorre que je devrai emprunter le lendemain - je m'essaie à distinguer les crête que j'y ai emprunté l'an passé puis continue ma route. Cette fois les troupeaux d'isards sont en dessous. Les bêtes sont bloquées car leur mode de fuite consiste à monter, or cette fois, si elles montent, elles me tombent dessus. Quelques isards soufflent dans ma direction pour me montrer qu'ils n'apprécient pas ma présence. Ce n'est pas réciproque pourtant ! J'en vois un qui descend de la crête sur un à pic – il est bien agile. Le chemin passe enfin entre deux rocs. Je m'y engage : une maman isard broute là en paix avec son petit. Ils ne m'ont pas vue et en plus j'ai le vent pour moi. Je suis seulement à 4 m de la mère lorsqu'elle m’aperçoit. En quelques bons, elle et son rejeton prennent la fuite. Étonnement, ce sera le seul jour où je ne verrai pas de marmottes, mais ça valait le coup !

Je m'engage sur une crête escarpée. C'est pas l'à pic le plus pur en dessous, mais tout de même, mieux vaut ne pas trébucher. Il n'y a pas de réel chemin et se tenir à la ligne de vie, une chaîne en fer, devient nécessaire. Je suis gêné par les bâtons, je les plie et les fixe à mon sac. Je fais un pas et... crac. Je suis tiré en arrière, je ripe, ma main se coince brutalement dans la chaîne. Je suis suspendu à la ligne de vie par ma main qui saigne et par le sac, j'ai les pieds dans le vide. Si l'isard qui a fuit le piton en face me voyait, il se foutrait bien de ma gueule.

Je me refout sur les pieds : en fait un des deux bâtons s'est pris dans la ligne de vie, d'où le saut que j'ai fait en arrière. Je vais faire gaffe maintenant. Je continue : si ça n'avait été la chute, le chemin aurait été agréable. L'endroit est particulier et puisqu'il est tôt, la chaleur et le soleil ne tapent pas trop.

Le chemin passe de l'autre côté de la crête puis... puis plus rien. Plus de chemin. Je bois quelques gorgées, je n'ai presque plus rien et attends Aixvall. En attendant, mon problème est plus épineux : je dois explorer la crête pour trouver le chemin. Je vais dans un sens : rien. Pourtant... Je revient à mon sac que j'avais laissé en arrière, je me fais un pansement – j'ai du mal à faire tenir un truc qui protège la plaie, la blessure sur la main est mal située. Je vais dans un autre sens une fois que ma main est bandée mais de nouveau : rien. Pas de chemin. Bref, je suis paumé. Une solution consisterait à attendre que passe quelqu'un mais je doute qu'aujourd'hui il y ait du monde. Je vais dans un autre sens : toujours pas de chemin. J'ai entendu des bêtes fuir en dessous. Là je suis dans la panade. Je m'assoie et essaie de réfléchir. Je suis paumé, paumé, paumé... J'entends soudain sourdre un grognement, un souffle bizarre. Mazeltov ! Un type arrive, un trailer. Eh bien, je n'aurais jamais cru que le chemin passait par là ! J'ai encore une fois le cul bordé de nouille, parce que le seul autre couple que je croiserait dans la journée était à plus d'une heure de là...

Le type voit ma main, regarde ma tronche, puis de nouveau ma main, et encore ma tronche : « un problème ? » qu'il me demande. « Pas du tout ! »

On discute un peu. Sa compagne arrive, elle est à bout. La monté qu'ils viennent de se taper est rude. À peine est-elle à son niveau qu'il repart à blinde – sans laisser le temps à sa douce qui souffle comme si elle allait cracher un poumon, de reprendre ses esprits. La pauvre. Je rassemble mes affaires et descend. Je fais un premier cairn puis un second. En posant les pierres, je m'éclate un doigt. Je lâche une bordée de jurons. Je reprends la route. Avec la pluie de cette nuit, le sol a un peu la consistance de biscuits breton et s'effrite sous mes pas. Je descends comme j'ai appris à descendre, le cul en arrière, et je me casse la gueule une fois. Deux fois, trois fois, quatre fois. Là, ça part tout seul : putaindemerdedechiottedebordeldecouilledemesdeuxtamèrecesttonpèreenculédetaracelachienne...

ça ne fait pas de bien de le dire, mais il fallait que ça sorte. Je reprends la descente et continue de me casser la gueule. Je vais péter un plomb. Je change ma position pour descendre un peu comme un surfer ridant la vague. J'ai compté : je suis tombé dix fois. Je ne suis pas à bout, mais pas loin. Je constate dans l'affaire que mon bâton a encaissé et si j'ai pu plutôt bien protéger ma cheville gauche, le genoux droit commence à me faire mal. Quel chiotte. Je reprends, ça va un peu mieux mais ça n'avance pas. Enfin, je croise le second couple. Eux montent tranquillement. On discute : ce sont des français, des bordelais. Nos impressions sont similaires : beaucoup de monde, des cabanes bondées, des chiens partout et pas tenus en laisse, des tôliers de refuge qui font un sacré boulot et sont sympas.

Eux aussi font le tour d'Andorre, mais ils sont partis des étangs de Fontargent et non du Siscar (de l'autre côté du couard en somme). On échange des infos, moi sur ce que je vais trouver, eux sur ce qu'ils vont trouver ou pas. Je leur dis que j'attends Aixvall avec impatience, qu'avec la chaleur croissante, j'ai soif. 'Aixvall ?' qu'ils me répondent, 'mais il n'y a pas une goutte d'eau là bas'. 'heu... pas une, c'est-à-dire ?' Là, je me sent couillon. On reste tout de même un bon quart d'heure à échanger, dommage que je ne les croise pas dans une cabane. Bon, je les laisse partir et reprends ma descente. J'arrive à Aixvall et il n'y a aucun doute : pas une goutte de flotte. Sauf que la chaleur grimpe. Elle grimpe encore plus fort que ne grimpe le dernier col qu'il me reste à passer aujourd'hui - parce que j'ai encore un putain de col à passer et ça, je ne le savais pas.

Je sais qu'en bas m'attendent des bières, une pizza, une douche (bon, ça je m'en fout – seules la bouffe et les bières comptent) ainsi que des vrais cafés parce que je ne supporte plus le café en poudre. En j'imagine la razzia de trucs chocolatés que je vais me faire. Mais il y a encore ce putain de col à passer, la soif, la chaleur, et je ne me fais pas non plus d'illusion sur les chemins descendant la vallée après le col. Ils vont être longs et dégueulasses.

J'y vais : je me dirige vers le col puis descend enfin dans la vallée d'Andorre-la-vieille, de laquelle montent déjà les bruits et odeurs des bagnoles. Dommage, le chemin est beau. Je manque de tomber encore mais j'arrive à surmonter. Je sais que ça va être long et inintéressant, comme un court de neuropsychologie mais je m'en fout, il faut le faire, alors j'y vais. J'arrive enfin dans la vallée. Je me suis conditionné à suivre des chemins dégueu, donc je n'ai aucun soucis à suivre pendant quelques bornes la route principale et à respirer les pots d'échappement lorsque je quitte enfin les flancs de motagne. Je ne suis pas à plaindre, surtout lorsque je vois les cyclistes qui grimpent là dedans. J'arrive à St Julia, ce n'était pas le bled le plus près, mais c'est le mieux pour le lendemain. Je ne me fais pas non plus d'illusions : je ne vais pas trouver un hôtel du premier coup, ni un bar du premier coup... je prends mon mal en patience et trouve assez vite un hôtel. C'est un trois étoiles version espagnole, c'est-à-dire un une étoile en france, mais ça fera l'affaire.

Je me douche, change de fringues et sors boire une bière et manger. Je trouve une pizzeria : le service est pas mal : la pizza arrive comme un miracle, là, belle et bien cuite, bonne comme il faut. Il pleut dehors, ça a commencé à tomber juste au moment où je me suis assis sous l'auvent de la terrasse. Le cul bordé de nouilles je vous dit... je rentre à l'hôtel et me tape une sieste. Je n'ai pas mis de crème solaire aujourd'hui, je suis sonné. Je fais des rêves lourds et lorsque je me lève, j'ai les yeux rouges. Mes intestins sont au bout, je vais dans une pharmacie. Comme je ne maîtrise pas bien, j'y vais avec des métaphores : « je fais le tour d'andorre et j'ai bu à une rivière l'autre jour, et je crois que ce n'étais pas une bonne idée ». La pharmacienne percute au bout d'un moment et gueule bien fort dans la pharmacie « ah, vous avez la diarrhée ? » voilà. Alors, oui, c'est ça, mais c'est pas la peine de le gueuler. Le chaland n'a pas besoin de connaître mes problèmes de... N'est-ce pas ? Et elle reprend « contre votre diarrhée, vous voulez quoi : lutter contre les maux d'estomac ou la stopper ? » Cette fois c'est sûr, les autres clients sont à présent bien au fait de mes problèmes intestinaux. Bon, je m'en tire avec un médicament nucléaire. Je me rendrais compte après la rando que j'en avais probablement déjà une boite dans ma pharmacie. Je fais ensuite des courses. Je n'ai pas besoin de grand chose mais je complète, achète des chocolats (c'est pas cher, c'est bon : c'est tout ce qu'il me faut). J'achète aussi des bouteilles de flotte et rentre de nouveau à l'hôtel pour me reposer. Je crois bien que je pionce encore un peu avant de me relever. J'erre dans les rues pour trouver mon point de départ du lendemain et vais dans un bar. Je regarde ma carte, les notes de route et décide de ne faire qu'une demie-journée de marche. Aujourd'hui, ça m'a un peu miné. Puisque demain il y a une cabane à mi-route, autant m'y arrêter. La perspective d'une journée courte me remets d'aplomb, je viens de retrouver le moral, je me rends compte au passage qu'il était un peu attaqué.

Le temps passe : je me fais un burger (j'en rêvais). Pas de chance... il est super bon et donne une envie de renviens-y.

Je rentre et regarde un match de foot. Je me couche et j'ai du mal à dormir. Vu les siestes de cet aprèm, ça ne m'embête pas trop. La ventilation fait du bruit, il fait chaud. J'attends le démarrage du matin avec impatience.

 

Jour 7 : St Julia – cabane de Claror 8h00, beau temps, 2200 m de dénivelé

Je quitte l'hôtel pas si tôt que ça. Les cafés ouvrent, je prends un petit déjeuner puis commence mon ascension. Je me paume un peu mais je fini par retrouver un chemin qui sommes-toutes n'est pas si mal que ça, je dirai même qu'il est plutôt bien. Je marche tranquillement, franchis des villages a l'apparente opulence. Je manque néanmoins, encore une fois, le chemin : les balises ont dû être déplacées récemment donc je fais un peu de bitume avant de faire une pause à une fontaine. Je regarde la carte, j'en déduit que le chemin n'est pas trop loin - je le retrouve assez vite en effet. Ça grimpe sec dans une forêt assez agréable même si le paysage n'est pas visible. Je me farci la montée en fond de cinquième. J'ai commencé la grimpette cinq minutes avant quelques nanas, je la finirai... cinq minutes avant elles. Chapeau les filles, surtout que deux d'entre elles sont des ados. Il fait chaud, je suis en sueur à la fin de la cote qui a bien duré une heure, plus peut-être. J'ai fais mon cardio de la journée. Là où je me trouve à présent, il y a une sorte de parc d'attraction de montagne dans lequel se précipitent plein de touristes. Toutefois, personne n'a pensé à foutre des balises. Deux vététistes qui connaissent pourtant le coin sont eux aussi perdus. On parle un peu en français puis ils s'en vont. Sur un parking, toute une colonie de caravanes trône. Je me rapproche de l'une d'elle : c'est les filles qui ont monté derrière moi. Je leur demande si elles savent où est le chemin : « par là-bas » me dis l'une d'elle en joignant le geste, « tu n'es pas perdu, ne t'inquiètes pas » continu-t-elle. Merci ! Sauf qu'un des deux vététistes a dit « là, il y a les bars et les restos, mais je ne sais pas où est le chemin ». Il ne fallait pas le dire deux fois. Je vais donc m'acheter un Aquarius et mange une assiette de patatas bravas. Elles sont un peu chères, mais bien bonnes. Pas mal... Je quitte le parc après avoir fait le plein de flotte. C'est un parc plutôt bien tenu, ça ne fait pas trop disney land. Si j'avais été gamin, je crois que j'aurai bien voulu y faire un tour. Je continue le chemin maintenant que je sais où il est. À peine ai-je laissé les infrastructures de loisir, je passe devant la cabane dans laquelle je pensais dormir. Il est tout juste midi. Je continue donc. Cette fois le chemin grimpe lentement sur les crêtes, mais il suit une route emprunté par des 4x4 – les français croisés hier matin m'avaient prévenus. Je marche donc un peu plus loin. Je croise une drôle de cabane de berger. Vu de l'autre côté je comprends : c'est un bunker. Je pensais que la frontière était un peu plus loin mais bon. Au passage, j'ai une belle vue sur la sierra de Cadi. Ça grimpe pas trop dur, le paysage est magnifique autour de la route, dommage que de temps à autres passent les bagnoles de beauf et les motos, mais chacun sa montagne après tout. Certains s'arrêtent et prennent leur caisse en photo, pour faire comme dans les pubs. Des oiseaux rares planent autour, mais ils ne lèvent pas la tête. Le chemin est un peu long, je me traîne. C'est beau, ça fait sauvage quand même. J'arrive au pic negre qui porte bien son nom. C'est un peu venteux, je resterai bien mais une série de motos arrivent et se plantent sur le sommet. Je descend donc sans trop m'attarder. Je me trouve dans un cirque majestueux, je croise de nouveau des marmottes. Je passe contre une falaise immense. Je m’assoie quelques minutes et profite du paysage. C'est chouette ici. Je fini le chemin et arrive à la cabane après avoir traversé de grosses buttes. La cabane est sympas. La soirée le sera un peu moins. Un couple, jeune, plus jeune que moi arrive. Ils ont les yeux qui crient braguette, et me font comprendre qu'ils regrettent que je sois là. Je mets peu de temps avant de déduire que la gonzesse est en cloque. Ça s'annonce mal, parce que je sens aussi que ça va ramoner ce soir. Merde. Si un type vient en cabane pour se peler la liane, on dira que c'est un pervers. Si un couple vient en cabane et 1-regrette qu'il y ait quelqu'un et 2-souhaite tranquillement faire du jus d'abricot, je dois en penser quoi ? Parce que les cabanes sont publiques, ça veut dire que si tu y vas, tu acceptes, conno, que d'autres y soient. Et tu évites de péter, chier partout, pisser dans les coins, roter ton poulet et faire chauffer le string, vu !

Eh bien non, je suis le non-prévu au programme. Bon, on parle quand même un peu, mais je sens que ça ne va pas le faire. Mauvaise amorce qui va contingenter négativement la conversation. En plus le mec est prof 'd'économie et d'entreprise' comme ils disent là bas. J'ai envie de répondre que chez nous, ce genre de dénomination est encore contenue, foi de marxiste. Quand ils apprennent que je suis psy, ils ont l'air étonnés. C'est vraiment que ma gueule ne leur revient pas. Dommage que la discussion ait du mal à s'installer : le mec et moi avons des réflexes commun : même bouffe en rando (pâtes, siflar, plat réchaufés et biscuits apréos), même attrait pour les randos...

J'ai l'occasion de faire un cour de philosophie de la randonnée. La fille me dit « c'est chouette de vivre dans la nature comme toi ». Je lui répond que les paysages ici sont façonnés par l'homme. Je lui répond que question nature, la jungle Ok mais bon, je ne fais pas l'aventure non plus, c'est juste quelques jours. Je lui répond que non, je ne me sens pas plus proche de Gaïa. Si je marche, c'est parce que j'aime la vie au cordeau, avec rien de superflu. En randonnée, on ne prend que le minimum : au mieux, tout peut avoir double usage. Ce qui a simple usage, c'est le matériel de survie, en cas de pépin – ce à quoi on n'est pas obligé de penser au quotidien. Que ce n'est pas tant la nature que j'aime, que ce que j'aime le plus, justement, lors d'une rando, ce sont les pauses dans les villes, dans les hôtels. Après plusieurs jours dans la montagne à marcher, ta pizza, ta bière, ton café, ta douche... tout ça prend une volupté inattendue. Que se lever et se coucher avec le soleil, c'est un rythme de vie qui nous a été ôté, que les choses simples, à force, nous n'y prêtons plus attention. Ici, les rencontres sont rapides, profondes, sincères. C'est ça que j'aime, et les cabanes aussi je les aime vraiment, surtout lorsqu'elles sont sises contre un ruisseau bruyant.

Elle a la chique coupée...

 

Je ne rends compte qu'aux étoiles dans le ciel, et j'implore le pardon.

C'est la devise des randonneurs. Si tu ne la comprends pas, ce n'est pas grave. Mais ne me cause pas trop en ce cas.

Heureusement deux gamines andorranes arrivent, ça veut dire que ça ne va pas copuler sec. Le problème c'est que je ne baragouine que l'espagnol et elles préfèrent le catalan. Bon, je les écoute parler leur sous-langue et commence même à revenir un peu sur mes positions quelques fois scabreuses sur les patois locaux réanimés pour des raisons nationalistes qui ne disent pas leur nom. Mais je reste hors de la discute.

Je profite du paysage, parce que lui demeure magnifique et le couché de soleil aussi, même s'il est légèrement tronqué par la crête. Je ne me sent pas très bien dans cette ambiance. Pareil, les gamines font des études de psycho. J'aurai pu être leur prof : quand elles apprennent mon métier, elles commencent à me vouvoyer. C'est dire. Bon, je finis par aller me coucher. Le couple est déjà pieuté et ça jardine sec sur leur pieu. Heureusement les deux gamines finissent par rentrer et, comme prévu, ça calme les ardeurs. Inutile de dire que les gamines ont un clebs qu'elles ne tiennent pas en laisse. La totale quoi.

Je vous dit pas la tête du couple quand on s'est rendu compte que le lendemain soir nous avions prévu de dormir dans la même cabane. S'ils veulent niquer tranquille, qu'ils rejoignent leur maison de famille à Puigcerda puisqu'ils en ont une, au lieu de faire des match de foutre dans des lieux publics. Non mais...

 

Jour 8 : cabane de Claror – cabane de la portella 10h30/11h mauvais temps puis beau temps et chaleur. Env. 1200 m de dénivelé

J'ai eu du mal à ne pas vanner les catalans quand ils m'ont dit hier soir que la pluie allait tomber à midi trente. Depuis que je suis partie on me dit les horaires pile où ça doit toner et pisser. Rien n'a été respecté. Résultat, on ne mets pas midi à 14h00 mais à 8h, car lorsque je me casse, il flotte. J'ai une pensée pour Jon ; ce matin, je n'ai pas totalement le cul bordé de nouille. Il fait froid, ça pluviotte mais je fais le paris que ça ne durera pas. N'empêche, la montagne par temps de pluie, c'est génial ! Je marche tout doucement parce que j'ai prévu une petite journée. Le problème c'est qu'à ne pas trop marcher, je me sens un peu fainéant. J'ai du mal à m'arrêter aux cabanes. Je dois me forcer à y faire des pauses. Je décide d'aller jusqu'au refuge de l'Illa et d'y dormir dans la partie libre. Ça tonne un peu puis ça se dégage lentement. J'apprends que le prochain coup de bourre est prévu à 18h30 pile. Je ne le sais pas encore, mais à cette heure là, je devrais alors faire gaffe au soleil... Au final, Jon avait raison, niveau temps, j'ai de la chance... Une chose est certaine, c'est que je souhaite le plus vite dégager du chemin pour ne pas recroiser les deux têtes de nœud d'hier soir. J'arrive un peu fatigué au refuge d'el Illa. Le protocole sanitaire y est strict : on ne rentre pas. À l'intérieur, ils font même des tests PCR, c'est dire... Les mecs, ils sont perdus en pleine montagne, mais ils gèrent mieux le shmilblic que le gouvernement français et en plus, ils se traînent la répute d'être les tôliers les plus sympas des pyrénées – et ce n'est pas exagéré ! Je commande un café, et demande si c'est possible de dormir dans la partie libre. Le tôlier me répond que non, que la partie libre n'est dispo qu'en cas d'urgence. Je suis Ko, ma ganache doit trahir ma déception. Le tôlier insiste : c'est pas possible de dormir, mais que si je suis Ko... et bien je peux y aller. Mais c'est pas possible : mais si je suis Ko, il n'y a pas à hésiter. Tiens, il me file au passage le code de la partie libre. Le mec et le serveur finissent par insister pour que je reste. Vraiment : ils font honneur à leur réputation de refuge le plus sympa de toute la chaîne. Je dis que je ne suis pas une urgence, tant pis, j'y vais. Je ne sais pas si c'est parce que je leur ai pris deux cafés mais ils insistent. Trop gentils, vraiment, en plus d'être professionnels.

Le refuge de l'Illa est top, je n'ai jamais entendu personne le critiquer.

Bon, je reprends mon ascension. Je ne sais pas où je vais pieuter ce soir mais je grimpe au dessus du chalet puis sur les crêtes. Avec les nuages menaçants qui circulent au dessus, à fleur de sommet, ça donne un paysage grandiose, une sorte de drame irréel. Ça tonne et ça pluviotte mais rien de grave. Depuis ce matin, plus précisément depuis le parc d'attraction hier midi, j'en prends plein les yeux. Je descend à présent dans une zone qui se veut touristique mais mauvais temps oblige, il n'y a pas grand monde. J'ai jeté un dernier regard sur un panorama en haut duquel on pouvait voir tout le GRP. Ça sent la fin.

Je descend tranquille, un peu vite quand même parce que je pressent que ça peut être encore long. Je bois un aquarius dans un restau perdu au milieu de la montagne (faites gaffe : il est bon, mais c'est des radasses, l'an passé ils ont pas voulu me filer de l'eau alors que je leur avait quand même acheté un aquarius à trois euros la cannette). Je continue vers envalira, hésite à acheter une bouteille pour l'apéro ce soir. Je fais la dernière montée de la journée et de la semaine. Ça grimpe dur, et le soleil tape à présent. Je n'avance pas. Il est 17h mais je sais que la prévision pour un coup de tonnerre à 18 est caduque – même pour plus tard d'ailleurs. Je grimpe lentement. Je regrette un peu de n'avoir pas réussi à m'arrêter plus tôt, au bord d'une rivière. Mais les deux glandus de la cabane quitté ce matin m'ont vraiment saoulé, j'avais envie de tracer ma route. Je monte un dernier col, magnifique (j'y suis déjà passé ici, deux fois, mais dans l'autre sens). Je regarde une dernière fois les montagnes et m'arrête pour essayer de distinguer le chemin. Je vois les cols, l'endroit où se trouvait la cabane sans porte, celle où je me suis réfugié pour éviter la grêle. Il y a la comapedrosa et de l'autre côté la crête derrière laquelle se cache le refuge de l'Illa. Je vois le restau des radasses ; au nord les crêtes au dessus du couard en forme de chicots de requin sont désormais bien proche. Je redescend et quitte le GRP. J'ai un pincement au cœur. C'est fou ça...

Je descend dans la vallée qui donne sur la route montant au pas de la case. Toutefois je suis encore trop haut pour être dérangé par la circulation. J'arrive à la cabane. La bergère vient me proposer du bois. C'est sympas ça ! Je refuse poliment, mais je trouve ça vraiment gentil !

 

Jour 9 : cabane de la portella – l'hôspitalet env. 5H, 200 mètre de dénivelé, beau temps

Ça y est, c'est la fin. J'ai trois heures de prévu mais je sens que je vais faire un détour. Je quitte la cabane sous le regard surpris d'un renard déplumé en train de faire un petit déj avec des marmottes qui semblaient ne pas voir les choses de la même façon. Le renard est surpris de me voir, ça sauve les rongeurs. Je dis renard déplumé parce qu'il lui manque du poil. Je penserai un moment que c'est un autre type d'animal jusqu'à ce que sur internet je trouve des photos de renard galeux. Ainsi méconnaissable, certaines personnes apercevant le canidé dépiauté de la sorte concluent souvent à la présence d'animal fantastique.

Quoiqu'il en soit je continue et quitte le chemin pour me rendre sur les crêtes. Je grimpe au milieu des marmottes et surtout d'isards. Un grand groupe fuit à mon approche. Je vais lentement, j'ai les pieds lourds. J'arrive enfin sur la crête qui domine l'étang du siscar. De l'autre côté, ça bouchonne sur la route commerciale conduisant au Pas-de-la-Case. Je marche sur la crête et fini par descendre. Quelques heures de marche sans histoires sinon celles que j'imagine.

*

J'arrive sur le parking et pose mes affaires à la voiture. Deux filles viennent de finir une rando de dix jours autour du carlit. Elles ont pris leur pieds. Par contre, elles n'ont vu personne. Allons donc : à chaque fois que je fais une rando quelque part, c'est là où il y a tout le monde ! Parce que le Carlit, quand j'y suis passé, c'était noir de monde. Elles semblent croire que j'exagère...

Je vais boire un coca au second bar de l'hôspitalet puis je retourne à la voiture. Sous la portière un truc attire mon regard. Je me penche : c'est le briquet que j'avais perdu ! Il fonctionne encore. À la bonne heure...

*

Je suis partis le 6 août 2020 et j'ai du coup loupé l'info du jour, que je n'apprendrai que quelque mois plus tard. Ce jour là, Bernard Stigler a mis fin à ses jours. Après avoir fait en sorte que ses derniers textes soient transmis à diverses revues, il s'est suicidé. Lui qui avait écrit Ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue a mis fin à une contradiction sur laquelle je n'arrivais pas à mettre du sens. Son optimisme a finalement cédé le pas à sa philosophie pessimiste. Je ne comprenais pas le paradoxe, lui non plus – à présent je le sais.

La néguentropie, brille-t-elle désormais ?

Lui aussi marche vers les salines.

Je voudrais traverser ce pays,

mais j'ai le son plein de guerre, ma bouche est sèche.

Je cherche le pardon et l'oublie.

Personne ne m'a vue.

Je ne parle pas et j'ai tout donné

le monde est plein de rance et ce que je cherchais,

je ne l'ai jamais trouvé.

Il dit je ne parle pas et mon cœur brûle,

et j'ai déchiré mon cahier

Je n'atteindrai pas le paradis

...J'aurai essayé

 

Je ne suis pas grand chose, et ce texte l'est encore moins. Mais je le lui dédicace. Ce n'est rien. Je ne peux faire plus.

 

À la mémoire de B.Stigler

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