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Onfray devrait se taire... ou se faire soigner

Publié le par Scapildalou

Ça faisait bien longtemps, deux ou trois ans au bas mot, que je n'avais pas écrit d'article de cette série, les « X devrait se la fermer ». Cette fois, je ciblerai en particulier Onfray. Ça va être dur, car pour l'occasion je vais appuyer ma critique sur une interview d'Onfray pour Thinkerview, ce qui veut dire que je vais me taper son discours. Pas simple. Deuxièmement, c'est dur parce que j'enterre feu mon respect pour ce personnage singulier en qui j'ai eu de l'espoir : espoir de nous offrir dans la réalité, le quotidien, un discours alternatif de qualité. C'est raté. Onfray est devenu un con fini. D'ailleurs cet article ne vise pas à démontrer ou à illustrer une théorie mais juste à présenter en quoi je trouve que globalement rien n'est recevable du discours d'Onfray. Enfin, Cet auteur me blesse non par ce qu'il dit, mais parce qu'il renvoie à une de mes faiblesse. Lui comme moi sommes relativement autodidactes et, lui comme moi, nous sommes globalement incultes. Sauf que je reste les pieds sur terre au maximum. Lui vie dans une sorte de réalité parallèle ou le sens commun n'a visiblement plus prise depuis un certain temps...

*

Onfray est donc invité par Thinkerview, en direct, le 17 juillet 2020, quelques semaines avant la rédaction de cet article, quelques semaines après la fin du confinement.

Commençons.

Premièrement, question générique de la méthode Thinkerview, l'interviewer demande à l'invité de se présenter. En quatre secondes nous avons tout Onfray : sa présentation est une sorte de paillasson pour chaussure pourries devant un pédiluve de merde. Je cite :

« Michel Onfray, 61 ans, je dis souvent, parce que c'est important pour moi, que je suis fils d'ouvrier agricole et de femme de ménage, que je sors de ce milieu et que je lui reste fidèle. J'ai écrit une centaine de livres, une dizaine de recueil de poèmes dont tout le monde se moque ; une vingtaine de livres sur des artistes dont des artistes contemporains dont tout le monde se moque également... Une douzaine ou un peu plus de livres sur une 'contre-histoire de la philosophie' mais on veut absolument que je sois un philosophe polémiste, et donc on est intéressé que par les textes dans lesquels j'utilise du cynisme... du cynisme dans l'esprit de Diogène, de l'ironie dans l'esprit de Swift ou de Voltaire ; et des textes dans lesquels j'essaie aussi de penser l'actualité ».

Arrêtons nous là, n'en jetez plus, il y a déjà beaucoup à dire. Sortez vos sacs à vomis si vous ne l'avez pas déjà fait et si vous ne les avez pas déjà remplis. Le cas échéant, remplissez d'autres récipients d'une gerbe au philosophe incompris, fameuse figure de style.

Allons-y. Il faudrait faire une analyse de toutes les réponses à la première question posée par Thinkeriew ; ce qui est certain, c'est qu'Onfray est le premier à appuyer d'entrée sur l'origine de ses parents. Et en l'affaire, même Douste Bla-Bla a fait montre de plus de dignité, c'est dire si Onfray dépasse les bornes. Il se présente donc en montrant que ses parents sont d'un milieu modeste, et il le dit de façon presque caricaturale. Que signifie cette présentation ? La première chose, c'est qu'Onfray veut se faire passer pour la petite Causette ou le petit Gavroche de la philosophie. Ou le petit Kaliméro mais ça, on va y revenir après. Deux choses sont sous-tendues à travers ce type de présentation :

-1- je ne suis pas issue d'une famille où l'on né avec une cuillère en or dans la bouche donc je n'avais pas le capital social, économique et culturel des autres philosophes. Je suis donc différent de ce qui est produit par le monde universitaire et par là, mon discours sera nécessairement différent. Au passage, Onfray, il ne faut pas nécessairement le connaître pour comprendre où il veut en venir, fait comme s'il allait prévenir des attaques d'autres personnes en posant un paillasson, comme je l'ai dit, pour les désamorcer avec cette argumentation : « oui, mais eux ne peuvent me comprendre, ils ne peuvent même que m'attaquer, ils sont les riches, moi, je suis la pauvreté ». Notons toutefois qu'à ce moment nous ne lui avons rien reproché. Et je dois dire que j'étais content de le voir sur Thinkerview. Mais en une phrase, il m'a déjà gonflé.

-2- second argument contenu dans cette assertion : je me suis fait moi-même. Eh oui, si Onfray dit qu'il est issue de rien, il reprend à peu de frais, moyennant un petit détour la convocation du mythe du self-made man en plus du David Contre Goliath. Bref, il convoque deux mythes pour être bien certain de rassembler derrière sa carcasse mise à mal par plein de méchants tous les petits auditeurs ignares que nous sommes.

Parlons de sa carcasse maintenant. Second argument qu'Onfray utilise à chaque fois ou presque (qu'on se rappelle de son argument adressé à Miller : « j'ai lu 3000 pages de Freud » pour attirer à lui la légitimité à le critiquer. Personnellement j'ai dû en lire 300 de Freud, mais je raconte moins de bobards à son encontre. Donc soit Onfray ment, soit il ne sait pas lire), c'est la quantité de pages qu'il a écrite. Au lieu de se contenter d'un modeste « j'écris des bouquins » ce qu'a en général tendance à faire l'essentiel des personnes occupant sa place, lui va entrer dans le détail en listant le nombre incroyable d'écrits qu'il a réalisé. Incroyable certes mais là encore, cela renvoie à deux choses :

1-Ce nombre proprement hallucinant qui forcerait le respect si en premier lieu n'étaient pas forcées les règles de la modestie, vient faire contraste avec le premier argument, celui de sa condition modeste. « je suis modeste, mais ma production ne l'est pas tant en quantité, qu'en qualité, puisque j'écris sur tout – et surtout sur la culture » au point que l'on pressent un retournement. La culture n'est pas écrite par Onfray, c'est Onfray qui l'écrit, qui l'a fait. Un peu gros vous allez me dire ? Attendez, la citation extraite de l'interview ne fait que 58 secondes. Derrière, il y a encore 2h30 de saloperies.

2-nous sommes dans l'art de l'immodestie. Onfray justifie sa place sociale par sa production. Or des types comme Jean-François Lyotard ont moins écrit que lui, cent fois moins peut-être, Wittgenstein n'a publié qu'un bouquin de son vivant, donc on se calme, comme le disait l'autre, ce n'est pas la taille qui compte.

Enfin arrive la justification, c'est-à-dire ce qui donne sens à toute ces prémisses, le fameux 'dont tout le monde se moque'. Le point Godwin du Kaliméro est déjà fumé comme un Setenza à la fin d'un Sergio Leone. 'tout le monde se moque'. Voilà qu'est introduite la persécution, l'autre maléfique, qui sera le fil rouge de tout son discours. Si comme moi vous avez lu Nietzsche sans trop le comprendre ni être touché, au moins vous avez sous les yeux ce que le philosophe allemand nommait "ressentiment". Et vous allez l'avoir pendant 2h30 ! Belle séquence d'observation, n'est-ce pas ? Car c'est bien du ressentiment qui va venir sous-tendre tous le discours, toute l'argumentation d'Onfray. Et son renversement du début avait pour objectif de mettre en place, d'initier, de poser comme sous-bassement cette logique du discours, ce Référent (avec un grand 'R') : 1-Onfray est persécuté (on veut absolument que je sois un philosophe polémiste) 2-lui il sait ce qu'il dit parce qu'il travaille 3-et cela parce qu'il vient du monde du travail.

Je vais ici faire la pire chose qu'il soit pour un Onfray, et citer Roland Gori, le fameux psychanalyste, sur le syndrome d'imposture. Au fond, Onfray souffre d'un double syndrome : non seulement il est dans un monde qui le coupe[rait] de sa base social mais en plus ce monde le rejette. Lui trouvera comme justification que ce monde le rejette parce qu'il est pertinent, c'est plus commode. Au fond, il est rejeté parce qu'il est médiocre, et il pourrait écrire un millier de bouquin qu'il le resterait. Néanmoins les faits sont là : il est de partout, mais il est accepté nul part. Au lieu de transformer les tensions en postures épystémiques (« qu'est-ce qui m'intéresse dans le monde ? ») il les transforme en une insidieuse posture ontologique (« comment suis-je dans le monde ? »)

C'est fou, parce que cette posture est exactement celle qu'il va dénoncer par la suite. Au fond, comme le disait mon avocat qui était aussi celui de Mohammed Merah : « il a tué tout ce qu'il aurait fantasmé d'être ».

Si je me permet ce détour par Roland Gori, c'est que je viens de regarder la seconde partie d'un doc de Canal + sur Rocancourt, et que Gori analyse le fait que ce minable (Rocancourt n'était pas un escroc mais un minable) utilise le 'name dropping', le fait de lâcher à tout va quelques noms pour asseoir la maîtrise dont il veut faire montre. C'est exactement ce que fait Onfray à la fin de cet extrait, en faisant du name dropping d'auteurs et philosophes disparates, pour bien montrer (en faisant mine de rien) qu'il se place sous leur patronage. Mieux, c'est le patronage de toute la philosophie qu'il revendique. C'est à se demander si la quantité d’œuvre qu'il écrit ne tient pas plus de mégalomanie que de l'envie de dresser une éthique et une esthétique...

il continue ainsi « il y a une espèce de figure qui n'est pas moi, qui est une figure médiatique. Moi je sais qui je suis. Et cette figure médiatique génère aussi bien la vénération que la détestation. Mais je ne suis pas dupe de cette espèce de duplication, ce qui fait que quand on m'insulte, c'est une espèce d'avatar que l'on insulte ; et quand on fait mon éloge, je sais que c'est aussi un éloge de l'avatar qu'on me prête, et que ma réalité est au-delà de ça. »

Je vais dire ce que j'aurai dit à sa place si j'étais sincère : « Faut dire ce qui est, ce doit être ma manière de faire, mon image clive. D'un côté ce n'est pas à de la simple contradiction à laquelle je fais face, mais à de véritables attaques en règle. De l'autre côté, il y a des gens qui accueillent bien plus favorablement mes positions mais par effet de réactance, à un moment, je ne peux pas leur en vouloir, ils sont presque dans la réification de ce que j'avance, de mes idées – ça fait plaisir hein, mais ça ne fait pas non plus avancer le shmilblick. Du coup, ça oscille entre les insultes et les éloges mais dans les deux cas je ne les trouve pas qu'ils visent ce qu'il faudrait viser »

Qu'elle est la différence entre les deux versions ? Onfray, comme Rocancourt, ne présente aucun affects. Ce n'est pas pour rien qu'il finit par ce mégalomanesque « ma réalité est au-delà de ça ». Il ne dit pas « mon quotidien, ma pensée, c'est autre chose que ce sur quoi on m'attaque », il utilise bien un jugement moral, en faisant référence à un « au-delà » qu'il faut interpréter presque au sens littéral : 'je suis supérieur à ces choses basses'. Il fait ce jugement de valeur sans le faire, il rabaisse ce qui n'est pas de lui en faisant mine de rien. L'immodestie se cache sous de la fausse modestie. Au passage, on notera encore ce côté persécution, matinée cette fois de son miroir, l'adoration. N'en jetez plus... ça doit être dur d'aller aux toilettes quand on ne se sent plus pisser de la sorte ! Dites-donc, Onfray aurait des problèmes de rétention ? [au sens psychologique s'entend...]

Problème - ça arrive, il y a des coupures de son, mais l'interview reprend sur cette phrase « dire ce que je veux, à qui je veux, quand je veux, comme je le veux. C'est un luxe absolue de dépendre de rien ni de personne et de se dire 'si j'ai ça à dire, je ne vais pas me retenir parce que j'ai un patron qui ne veut pas que je le dise'. »

Aïe... Visiblement Onfray n'a pas lu mes articles sur la communication. Il n'a rien lu dessus, mais à ce point, c'est à se demander s'il a lu quelque chose. Parce qu'en arriver là, c'est quand même stupéfiant. Le problème des échanges entre humains, c'est justement qu'on ne peut, en permanence, dire ce que l'on veut, quant on veux et à qui l'on veut. La formulation d'onfray est bien une formulation petite bourgeoise, bien ancrée dans l'idéologie actuelle de l'autonomie comme perspective absolue. On a vu ce que j'en pensais dans d'autres articles ; le fait est que la présence d'autrui, l'échange avec autrui et la paix n'est possible si et seulement si il est fait preuve de retenue et, dit Dejours (Pp83-86 de l'édition de 2011 de son ouvrage Conjurer la violence – parce que moi, je lis les auteurs que je cite...) d'une certaine dose de censure. L'illusion du 'pouvoir tout dire' sert de justification à une violence non retenue. Vous savez, c'est comme lorsque votre pseudo meilleur-e ami-e vous dit 'je vais être franc-che'. Non, le 'je vais être franc' ou le 'il n'y a que la vérité qui blesse' sont des façon d'avancer déguisé justement pour blesser. Dire 'je dis ce que je veux à qui je veux quand je veux' c'est avancer ce même type d'arguments, il faut en fait entendre 'je fais du mal à qui je veux quand je veux'. Toutefois, comme le faisait Bush pour déclarer la guerre à l'Irak, Onfray mets une étiquette sur son discours, celle de la liberté et de l'autonomie. Hitler et le Pen font la même chose d'ailleurs, avançant leurs idéaux au non de la paix entre les peuples et de la culture. Celle ou celui qui va être violent ne dira jamais 'je vais être violent' de même qu'un manipulateur ne dit pas 'attention, dans quatre secondes je vais vous manipuler pour vous vendre deux sèches linges au lieu d'un'. L'idéologie, c'est le masque sous lequel avance tout discours (y compris celui que j'écris). Le plus important est donc d'avancer en amont son point de vue. Or nous avons-vu comment Onfray avait avancé le sien 1-je suis persécuté 2-je sais ce que je dis parce que je travaille 3-et cela parce que je viens du monde du travail.

Rajoutons d'autres arguments convoquant le mythe de l'autofondation 'je ne dépend d'aucun patron'. Oui, nous l'avons dit et appuyons dessus : Onfray se prend pour un self-made man. Il est l'entrepreneur de lui-même, comme dit le Medef.

Onfray continue en défiant la mort 'je n'ai pas peur' [qu'on me retire des crédits par exemple]. 'Je dis ce que j'ai à dire'. On retrouve là la même posture de l'imposteur d'une part, et du sociopathe d'autre part, à la façon des escrocs comme l'était Rocancourt. Onfray est le Rocancourt de la philosophie.

On estime jamais que quand un philosophe tient d'autres propos, qui sont évidemment dans le sens du vent Maastrichien, il est un polémiste

Kaliméro je vous dit, Kaliméro... Car on n'a pas attendu qu'Onfray tienne des propos contre Maastricht pour en faire un polémiste. Ces attaques constantes dont il se revendique 'je dis ce que je veux, quand je veux à qui je veux' qui sont au final une sorte de devise du nihilisme, de la négation d'autrui et du respect fondamental et universel à l'autre, pèse bien plus que ses positions anti-maastricht. Et Onfray de nous faire part de son courage, et dire que là est la cause ou une des causes des attaques à son encontre : 'je suis contre Maastricht'. Le courage, pour moi, aurait été de ne pas se rabaisser à évoquer en premier lieu la condition de ses parents pour jouer les Kaliméro. Notez que l'on ne trouve rien sur moi sur ce blog est dans l'ensemble de la pensée que j'y développe : non mais, d'un autre côté, est-ce que Kant aurait été le même s'il avait parlé de son abstinence sexuelle ? Est-ce que Rousseau a bien fait de raconter sa vie à tout le monde ? Franchement, à un moment, il faut faire la part des choses. La science, le jeu avec « la vérité » n'est légitime, à mon sens, si 1-le point de vue idéologique est avancé [voilà de quel point de vue je parle], 2-si l'auteur est conscient de sa posture sociale [je sais ce qui parle à travers moi lorsque je parle] 3-s'il tait dans ses œuvres sa postures sociale mais ne s'en départie jamais dans sa réflexion [c'est Lars Svendsen, ancien agent d'entretien devenue philosophe qui, dans son ouvrage de 2012, décrit avec beaucoup de componction ses origines modeste, sans s'en servir comme argument pour sa pensée – Michel ferait bien de s'en inspirer...]. C'est exactement l'inverse que fait Onfray. Il n'est pas un scientifique ni ne se place de se fait dans l'histoire de la pensée. Ne reste plus qu'une place, celle de polémiste. Je ne vais pas me rabaisser à faire une analyse de texte de Zemmour, mais je suis certain qu'on retrouverait à peu près les mêmes types d'arguments.

La polémique, c'est l'insulte qu'on réserve à celui qui ne pense pas comme il faut. Mais nous l'avons dit : Onfray se targue (probablement inconsciemment d'ailleurs) d'être de l'idéologie dominante (self-made man, David contre Goliath, évocation de l'autonomie/responsabilité élevée au plus au niveau de Référence). On verra après que c'est pire. Onfray attire la critique comme un soldat au milieu du champ de bataille attire les balles tant qu'il se tient debout. On lui tire dessus parce qu'il est trop con pour se planquer, et non parce qu'il est courageux. Ce défit à la mort (qui n'est pas du suicide) est là aussi propre à l'idéologie autonome/responsable 'si tu atteins mon autonomie, tu atteins mon être, donc tu me tue'. Nauséabond, mais très commun...

Notons au passage que le retournement annoncé par Onfray (polémique => [masque-inversion] = insulte) est ce que je nomme la fonction d'inversion de l'idéologie. Mais comme nous le verrons, il ne sait hélas pas ce qu'est l'idéologie et se contente d'une simili dénonciation de cour d'école : c'est celui qui dit qu'y est.

Après une autre coupure de son, on tombe sur ceci : un nouveau name-dopping sous couvert de référence à Malraux, puis « ce sont des propos [ceux de Malraux] de civilisation. Et j'ai l'âge qui me permet de penser en termes de civilisation. Et puis la culture, c'est-à-dire si on travaille... moi depuis 17 ans que je lis, je prends des notes, je me dis moi aujourd'hui je peux faire un travail de civilisation. Donc vous posez une question sur la france, il faut la mettre en relation avec l'europe, et il faut mettre l'europe en relation avec le judéo-christiannisme, ce qui rend possible un concept qui est celui d'occident. Donc on ne peux pas penser le statut de la france sans penser celui d'occident […] je pense que quand Huntington a parlé de choc des civilisations il avait évidemment raison. Et il suffit de lire aujourd'hui Huntington – il est mort depuis – mais il avait annoncé un certain nombre de choses qui se sont produites depuis, et il y avait Huntington qui passait pour un homme de droite et le dernier homme de Fukuyama qui nous disait que c'était terminé, qu'il n'y avait plus d'histoire, et que la démocratie avait triomphé sur la totalité de la planète depuis que le mur de Berlin s'était effondré, qu'il n'y avait plus de bloc soviétique. Moi je persistais à penser non pas en termes de droite ou de gauche, ça fait un petit moment que j'ai laissé ça de côté [interruption cynique : Onfray doit être « au-delà » de la droite et de la gauche...] mais en termes de justice, de justesse et de vérité. Est-ce que c'est vrai ce que dit Huntington, est-ce que c'est vrai qu'il y a un dernier homme […] ou est-ce que il faut penser ailleurs et autrement. Donc moi j'ai répondu dans des cadences [sic. - on notera « dans des cadences » fait aussi « dans décadence », alors que le terme convenu aurait été avec « par des séquences », il s'agit là d'un lapsus] démarrons avec Jésus qui est un personnage conceptuel, juif […] on fabrique autour de ce personnage [une mythologie] […] et donc on va fabriquer une idéologie à partir de laquelle on va produire ce qu'on appelle 'l'occident' »

Tirons le fil de cette galimatiaque bobine. Passons sur le pathologique besoin de reconnaissance et de justification d'Onfray « j'ai l'âge de faire un travail de civilisation » (pas Greta Thunberg?) « ça fait 17 ans que je lis et prends des notes » encore une fois, ça ferait 4 ans mais il y aurait des choses intéressantes, ça serait pareil. 17 ans pour dire tant de conneries, il serait tant de changer... "Je travaille"dit-il. Oui, mais Bernard Stiegler aussi, hein, moi aussi, tout le monde, donc il n'y a pas à la ramener. Si Onfray insiste, encore une fois, c'est pour se placer sous la 'référence' du symbole 'travail'. On a vu des bourgeois qui travaillent dur, pour l'occasion autant se taire.

Passons aux 'arguments'. Visiblement Onfray ne sait pas ce qu'est une civilisation mais ce n'est pas le plus grave. Le plus grave c'est les liens simples qu'il va effectuer entre les différents pans de son argumentation. Mieux, il ne sont pas tant simples (un lien simple est peut-être le fait d'une personne excellant en question de synthèse) que simplets, pour ne pas dire tirés par les cheveux. Il évoque donc Malraux : je ne suis pas d'accord avec la définition et la conception qu'à Malraux de la notion de civilisation. Marxisme oblige, pour ma part, la civilisation au sens processuel tend chez moi à se confondre avec la notion (presque le concept cette fois) de culture. Pour ainsi dire, une civilisation est pour moi un ensemble large d'aires culturelles et concerne un ensemble de modalités d'action et de production. On produit la culture qui s'impose à nous en retour. La culture et la civilisation sont chez moi l'ensemble des possibles d'une part, des imaginaires et des idéologies qui viennent d'autre part justifier ces possibles (cf Kamerer et Boch – qu'on ne peut pourtant pas taxer de Marxistes). Pour Malraux, la civilisation est une chose qui se voit au miroir de l'altérité. Malraux a une conception réflexive de la civilisation (ce qui me va bien mais ma propre conception s'est développée suivant mes préoccupations ; Malraux a développé la sienne suivant ses préoccupations). Dans le musée imaginaire je crois, Malraux raconte avoir fait visiter la métropole et découvrir ses paysages à des touaregs. Alors qu'il leur montre une cascade dans les pré-alpes, il n'arrive pas à les faire partir : les touaregs sont comme figés face à la chute d'eau. C'est, explique Malraux, que pour eux, dans le désert, l'apparition de l'eau est tellement miraculeuse qu'elle est synonyme de divin. Ici, face à la cascade, c'est comme s'ils étaient face à leur dieu. Ça, c'est la civilisation pour Malraux, dans l'altération consentie de son regard en acceptant celui des autres. Je me trompe peut-être, mais il me semble ne pas être loin du compte, et c'est pour cette raison que Malraux compare dans son musée imaginaire des œuvre issues d'aires différentes : c'est par leurs contrastes qu'elles mettent en perspective la multidimentionnalité de l'humain et en même temps, ce qui le fait unique et universel.

Schématisons le shème logique d'Onfray : france → europe → judéo-christianisme => [rend possible] occident |donc| france = occident = Judéo-christianisme = Jésus

Or civilisations = Huntington => choc

Bon, ça sert à rien de convoquer Malraux si c'est pour dresser contre lui Huntington, dont André aurait fait de la pâtée pour chat et encore les chats n'en n'auraient pas voulu...

Si je me base tant sur Pierre Legendre c'est justement parce que le lien envisagé est bien différent. C'est là qu'Onfray me débecte. Certes il a un point de vue et après tout pourquoi pas, mais il présente ce point de vue comme logique, ce qui sous-entend que c'est naturel donc vrai et toujours vrai tout le temps. Si vous n'êtes pas d'accord, vous êtes dans le faux. Pierre Legendre donc, pour sa part, présente une genèse bien différente. En effet : le droit, la langue et ce qui en découle : les processus de filiation, d'humanisation etc. prennent source dans le droit Romain. Il n'y a pas de civilisation occidentale, il y a une aire culturelle impactée encore de nos jours par le système hérité du droit romain qui se voulait lui-même hérité de la civis grecque. Il ne faut pas oublier que le mythe qui entoure Jésus arrive au levant, une zone secouée par de constantes révoltes contre la domination culturelle romaine. N'oublions pas que Rome, après se l'être approprié, n'a eu de cesse de lutter contre le système de production de la civis grecque lui-même hérité des citées-états du levant. Il y a une réaction des citée-état du levant et des tenants du système de production contre Rome qui imposait d'être tournée vers elle – tandis que les citées-états étaient à la fois auto-centrées et dépendantes de leur libre action sur les mers. Ce n'est pas pour rien, à mon avis, que le christianisme a surtout été diffusé par les marchands. Cette classe sociale était opposée au système de domination étatique. Bref, le christianisme originel est presque une sorte de réaction levantine contre la domination de Rome ce qui ne l'empêchera pas de se greffer sur le système de droit Romain puis plus tard de le faire perdurer. Ainsi, au XVème siècle, le droit commun est encore le même en europe occidental que celui en vigueur sous l'empire 16 ou 17 siècles plus tôt. Et ces exemples ne sont pas uniques : la « légion » (terme lui-même emprunté à Rome) a pour devise « legio patria nostra » - une devise en latin, et non en français !

Enfin, tristement, Onfray oublie que « l'on » ne produit pas d'idéologie. Dans les textes de ce blog, vous trouverez plutôt « c'est alors que s'est produite une idéologie » non pas dans le sens où elle se serait produite seule, mais parce qu'elle est issue d'abord d'un contexte et surtout, aucune production ne peut prétendre être le fait de l'intentionnalité. L'intentionnalité, dans toute action, est toujours très partielle, réduite à presque rien (c'est ce que je nomme « l'homme anhistorique »). Onfray en revanche utilise une formulation qui ne laisse guère de doute : dans son discours, toute production, à commencer par l'idéologie, est toujours le fait d'une intentionalité forte. Nous verrons dans un prochain article que cela l'aveugle et rend imbuvable ses analyses.

Retenons ceci néanmoins : en se plaçant sous l'égide d'Huntington qu'il n'a probablement pas plus lu que moi puisque ses maigres arguments pour le défendre (« plusieurs des choses qu'il avait dites se sont produites ») figure en première ligne de la fiche wikipedia du livre le choc des civilisations, il accepte ce fait : les civilisations sont en conflit. Bref, de l'anti-Malraux, et de l'anti-humanisme, nous qui pensons que les civilisations n'existent qu'à la lumière des différences (comment saurai-je que j'appartiens à une culture s'il n'y avait pas de culture différente?) et que les conflits que l'on qualifie improprement de civilisationnels sont des conflits éthique pour une maigre part, des conflits de domination pour une large part. Il n'y a qu'à voire comment daech se mettait en scène. Ils reprenaient dans leurs vidéo tout le système narratif holywoodien. Ils voulaient être qalif à la place des PDG. Daech est la face sombre de notre société, en son « miroir obscure » comme le disait Tocqueville, il n'y a que les production des rapports de dominations que l'on refuse de voir mais qui découlent bel et bien de chez nous. D'autre part, Huntington a un faible niveu de compréhension de la démocratie justement parce qu'il se base sur ce que pensait Tocqueville or la pensée de ce dernier était plutôt restreinte. Forcément, au bout du compte, avec l'acceptation de toutes ces prémisses plus pathétiques les unes que les autres, Onfray ne pourra pas aller très loin.

 

On s'arrête là pour l'instant - nous ne sommes pas encore à 7 minutes d'entretien...

 

 

 

 

 

 

 

 

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