Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les biais cognitifs sont-ils des biais idéologiques ? (1/2)

Publié le par Scapildalou

1-Introduction : le poids de la psychologie sociale en économie

Ça fait un bail que je voulais rédiger cet article, et voici. Je le fais parce que j'ai regardé cette chaîne très intéressante qu'est Linguisticae et j'ai aussi vue une interview du trop peu critiqué Etienne Klein sur RT. Les deux ont un point commun : ils évoquent des biais, les biais cognitifs, sans jamais dire qu'il s'agit de travaux issus de la paychologie sociale. De la psychologie sociale mais ce n'est pas suffisant de dire cela. De la psychologie sociale au bout de laquelle on trouve l'économie.

Savez-vous que les psychologues comptent au rang du nobel ? Quoi, seriez-vous passés à côté de l'information qu'il existe un nobel de psychologie ? Que non, ne vous inquiétez pas. En revanche, vous êtes peut-être passé à côté du fait que l'essentiel des prix nobel d'économie sont psychologues sociaux, ou alors que les théories de ces nobels concernent la psychologie sociale. Jean Tirol par exemple, mais Kahneman et Tsversky ainsi que Nash (il y a eu un film d'ailleurs sur ce dernier si je ne me trompe pas). Je l'ai déjà écrit ici : l'essentiel de ces prix nobels portent en revanche sur des travaux qui ensuite, recyclés sans trop de difficulté par ailleurs, vont directement servir les banquiers et le FMI. Tout de suite, ça donne moins envie.

 

Un résumé ci-dessous de ces prix nobels : (source : wikipedia)

 

1978

H.Simon

Recherche sur les processus de décisions dans les organisations économiques

1981

J.Tobin

analyse des marchés financiers et leurs relations avec les décisions d'investissement, l'emploi, la production et les prix

1986

J.Buchanan

développement des bases contractuelles et constitutionnelles de la théorie de la décision économique et politique

1988

M.Allais

théorie des marchés et l'utilisation efficiente des ressources

1992

G.Becker

Extension du domaine de l'analyse microéconomique à un large champ de comportements et d'interactions humains, dont des comportements non marchands

1994

R.Selten, J.F.Nash et J.Harsanyi

La théorie des jeux

1995

R.Lucas

hypothèse des anticipations rationnelles

1996

J.Mirrlees et W.Vickrey

Sur l'information asymétrique

2001

G.Akerlof, M.Spence et J.Stiglitz

Asymétrie de l'information

2002

Kahneman et Smith

Economie expérimentale et apports de la psychologie aux sciences économiques

2005

R.Aumann et T.Schelling

Théorie des jeux et conflits

2007

L.Hurwicz, E.Maskin et R.Myerson

Théorie des mécanismes d'incitation (fait partie de la théorie des jeux)

2009

E.Ostrom et O.Williamson

Économie des organisation et gouvernance

2010

P.Diamond et al.

Economie du travail (la détermination des choix des mén,ages à s'engager dans le travail)

2012

A.Roth et L.Shapley

Théorie des jeux

2014

J.Tirole

Régulation des marché et théorie des jeux

2016

O.Hart et B.Holmström

Théorie des contrats

2017

R.Thaler

Economie comportementale

 

Bon : faisons une synthèse.

Premièrement : les travaux de psychologie ayant conduits à des prix nobels d'économie concernent :

-la décision/la rationalité

-l'information et la connaissance/évaluation 'exacte' des informations de base

-la théorie des jeux (qui touche directement à ce que je nomme le Luppulisme...)

 

Ce qui intéresse les économistes, c'est de savoir comment prendre 'la bonne décision' dans un environnement de conflit. Et de fait, tout un tas de décisions sont biaisées par des informations mal interprétées ou non exactes. De fait, des biais dans les connaissances ou la transmission des connaissances peuvent entraîner des catastrophes. La catastrophe aérienne ayant fait le plus grand nombre de victimes, aux Canaries, en 1977, donna ainsi à L.Kersanty qui sévit toujours à l'université du Mirail, l'occasion de faire une introduction sur un bouquin relatif à la confiance dans la communication. L.Kersanty est un imbécile, il nie toute instance telle que l'institution et ainsi passe à côté du contexte, au sens mis dans le terme par P.Legendre (qui lui est loin d'être un crétin, en plus d'être cultivé, ce qui n'est pas le cas de Kersanty), et n'est pas capable d'expliquer avec pertinence la collision de 1977. A ce titre, et ce n'est pas s'éloigner du sujet, on lira l'introduction du livre de 1998 d'Yves Clot, La fonction psychologique du Travail où est expliqué d'un point de vue de l'ergonomie et de la psychologie du travail le crash du mont St-Odile en 1992. J'ai critiqué (avec un sacré lot de mauvaise foi) Y.Clot sur ce blog, l'introduction de cet ouvrage majeur, je l'ai lue et relue pour m'en imprégner. Bon, ce que je sais sur la confiance, ça vient de Kersanty, je ne le nie pas et je le reconnais, même si ce type est à baffer.

Vous dites que je vais loin ? Il attribue le manque de confiance à la SNCF à la simple CGT qui ne fait que « bloquer » les discussions. Et dire que l'inverse peut-être vrai (que ce sont peut-être les membres de la direction, d'un autre point de vue qui bloquent l'expression des syndicat) conduit Kersanty à cette réponse « Non ! A dire ça, on finit par dire que tous les patrons sont mauvais, c'est inacceptable ! » Bon, pour Kersanty, la CGT, c'est le mal, le patronat, c'est le bien. Devinez qui paye ses interventions ?

Et non, je ne m'éloigne pas du sujet. Mais ces détails de comment se déploie la psychologie du travail dans les organisations me semble en dire long sur la façon dont elle se déploie aussi dans les laboratoires, à commencer par ceux d'économie.

 

2-Les biais

Laissons de côté ces aspects des conflits et retenons que Kersanty et Clot, en basant leurs ouvrages respectifs sur un accident d'avion ne font, au final, que se placer dans la tradition des sciences humaines. Cette dernière a émergé sur des questionnements causés par des accidents, des dysfonctions, des problèmes qui soulevaient la question suivante : mais qu'est-ce que l'humain ? Par exemple, la psychologie est née sur l'étude de la folie, la médecine sur celle des maladies, la sociologie sur l'émergence de la question sociale, l'ethnologie sur la rencontre de civilisations qui remettaient en cause ce qui semblait être des invariables humains et ne s'avéraient être que des faits de société localisés, etc.

De fait, on se pose rarement de question lorsqu'il n'y a pas lieu de s'en poser ; le questionnement et la théorisation ne sont possibles qu'à partir de failles et c'est toute l'habilité des chercheurs de trouver ces failles, ces anomalies afin de créer un espace de réflexion et de réflexivité dans lequel il peut faire progresser la science.

Dans les années 1920, les psychologues mais aussi les sociologues se sont rendus compte que le raisonnement humain, les attitudes et « comportements » étaient soumis à tout un tas de choses qui peuvent sembler « irrationnels ». Première chose, ces irrationalités pouvaient venir « biaiser » les études et méthodologie. Par exemple : le fameux biais de désirabilité sociale qui consiste pour une personne répondant à une enquête à essayer de donner une réponse que l'enquêté estime être celle souhaité par l'enquêteur. Se faire biaiser de la sorte par quelqu'un qui veut plaire, c'est gênant. De même, les premiers psychologues et sociologues qui sont entrés avec des méthodes modernes dans les entreprises se sont rendus compte que le rendement des travailleurs sur les chaînes de travail augmentaient... du simple fait d'être observés.

Tout un tas de biais peuvent ainsi maltraiter une enquête obligeant les scientifiques à tout un tas de génuflexions. D'ailleurs, la recherche de biais dans les enquêtes est une discipline universitaire qui mériterait d'être olympique.

 

3-Les biais en psychologie sociale

La psychologie socio-cognitive moderne s'est fait un spécialité de l'étude de biais. Elle a démontré avec force d'expérience que nous avons en général des biais dans nos raisonnements. Autrement dit, le commun des mortels (nous, hein, pas les chercheurs...) est soumis à tout un tas d'erreurs de raisonnement communs. Hors justement ces biais dans les connaissances et dans l'analyse des informations va entraîner tout un tas d'effets délétères, lorsqu'il faut prendre des décisions notamment.

Arrêtons-nous : pourquoi la psychologie sociale s'est elle trouvée à s'occuper de ces biais ? La question n'est pas banale, parce qu'elle renvoie à ce qui constitue le fondement de la psychologie sociale justement. Cette discipline s'occupe à l'origine des attitudes et comportements de l'homme dans la société. L'idée n'est pas de chercher ce qui constitue l'attitude d'une personne dans sa singularité, mais ce qui constitue l'attitude d'une personne qui va en quelque sorte être dé-singularisé (l'humain est réduit à une sorte de Lambda) ; la question étant de faire varier les conditions sociales dans lesquelles elle vie et de voir comment ce Lambda va agir. Ça, c'est les origines de la psychologie sociale. Donc on regarde un Lambda et on observe ce qu'il fait en fonction de situations qui lui sont proposées : on (Walter Lippman) demande à Lambda de décrire des photos et on se rend compte que Lambda produit un discours général sur ces photos, relativement équivalent dans toutes les couches sociales, mais différent en fonction de son idéologie. Plus tard, le chercheur va inhiber certain effets de l'idéologie et trouvera que le racisme puisqu'il s'agit de ça, touche même les personnes qui ne se disent pas racistes. Mais n'allons pas trop vite. On (Lapierre) demande à des personnes s'ils accepteraient de recevoir des Chinois dans son restaurant (refus quasi total des restaurateur) puis on se rend ensuite dans ce restaurant avec un couple de Chinois (acceptation quasi totale). On observe donc qu'attitude et discours ne sont pas nécessairement congruents.

La psychologie sociale s'est ainsi fondée de façon croissante sur l'étude de ce type de décalage d'autant plus qu'ils vont très bien avec la méthode expérimentale qui va faire les beaux jours de la discipline qui possède en son sein les meilleurs expérimentalistes, sciences dures et sciences humaines comprises. Néanmoins, je mentionne un mort dans l'affaire : la psychologie sociale clinique. Ce n'est pas pour rien que l'on retrouvera celle-ci principalement accolée aux sciences du travail (comme l'est par ailleurs la sociologie clinique) [constat applicable aussi aux sciences de l'éducation pour ces deux disciplines], davantage favorables à l'étude de sujets qui vont être étudiés dans leur complexité puisque ce qui intéresse là, ce sont les résistances et non pas le fait de « céder » à un contexte social qui s'imposerait de haut comme par magie, sans être retravaillé et approprié par l'individu. Et dans le lot, il me semble important de ne pas oublier que les travaux de Bourdieu sont incontournable, contrairement à ce qu'en dit la vulgate.

 

4-Evolution de la psychologie sociale à l'aube de la cybernétique

La psychologie en général a été spoliée (et non pas spoilé hein, attention!) de toute réflexion intéressante par le comportementalisme jusqu'au début des années 1950. Elle n'aura pu seulement rebondir et tenir l'air grâce à la psychosociologie, c'est-à-dire l'étude de la dynamique des groupes et justement, à la fin des années 1940, après la seconde guerre mondiale à laquelle la psycholosociologie aura plus apporté que 25 ans de comportementalisme forcené. En quoi ces apports sont importants ? Eh bien justement, le comportementalisme visait l'endoctrinement des soldats pour en faire des bêtes à tuer. La psychologie sociale s'est plutôt intéressée à la solidarité entre ces soldats et à la nécessité de la dynamique des groupes pour les soigner. Accessoirement, en même temps, elle luttait à la suite du décrié Lippman (décrié suite à de récents travaux d'incultes journalistes, j'ai fait un article à ce sujet) contre le racisme et l'antisémitisme. De plus, elle était peuplée de démocrates ayant sincèrement à cœur 1-de pouvoir lutter contre le nazisme 2-d'éviter que ne se reproduise ce genre de boucherie.

Dans les années 1950, Jérôme Bruner, les lectrices/lecteurs de ce blog qui auront réalisé le quizz que j'ai proposé il y a peu connaîtront un peu mieux, propose une nouvelle orientation à la psychologie sociale. Il réalise une célèbre expérience en 1954 et montre que la perception est un élément social. Dans cette expérience, il observe que les enfants des classes populaire évaluent la taille d'une pièce de monnaie à la hausse quand ceux issus des classes favorisées évaluent la taille de ces même pièces à la baisse. Bruner va se servir de ce genre d'expériences pour défendre une révolution épistémologique permettant de rompre avec le comportementalisme.

Il propose d'étudier non plus les comportements mais les attitudes et les connaissances, d'étudier l'homme du commun avec respect et componction. Derrière, c'est tout un projet social que déploie Bruner.

Mais il ne faut pas oublier que l'information et sa circulation deviennent aussi un enjeu de taille avec la cybernétique : Wiener à l'époque (lui aussi en 1954) publie son ouvrage 'cybernétique et société'. La cybernétique va fonder l'informatique ; d'ailleurs de deux choses l'une :

1-la circulation de l'information est le fondement de la question numérique liée aux nouvelles technologies développées durant et de suite après la seconde guerre mondiale (guidage radar, tête chercheuses, codage, transmission de l'information, etc) Cet ensemble théorique donnera naissance au concept de feedback notamment, concept majeur quoiqu'aujourd'hui un peu désué (quoique...)

2-la psychologie sociale justement s'intéresse de façon croissante à la circulation de l'information. Que sont les connaissances, sinon des 'choses' circulant. C'est cette circulation et les modalités de transmission de l'information qui vont donc constituer un élément majeur de la discipline. Ainsi, en 1984, dans son ouvrage Psychologie Sociale, Serge Moscovici définira la psychologie sociale comme la science de l'idéologie et de la communication, car la communication est le modus operandi de la transmission de l'information.

Et autour de ce modus operandi se joue tout un tas de facteurs sociaux : statuts sociaux, attentes, perception, formation des impressions, contexte social et contexte situationnel, affects, etc.

On retiendra donc que la psychologie sociale va, avec la révolution cognitiviste, étudier la transmission de l'information et partant ce qui peut l'entraver.

On retiendra autre chose : très vite le projet social de Bruner va être dévoyé et le comportementalisme va revenir pas un trou de sourie avant de contaminer de nouveau la psychologie sociale qui aujourd'hui reprend entièrement et sans pudeur certains concept (comme le 'renforcement' en sciences de l'éducation). D'ailleurs, Bruner se fendra d'un magnifique ouvrage Pour une psychologie populaire qui semblera hélas aussi vain que les articles du dernier grand comportementaliste en son temps.

La psychologie sociale va ainsi postuler que le Lambda, c'est-à-dire vous, moi, nous les péquenots quoi, nous sommes :

-des être naïfs

-des fainéants cognitifs

D'où ça vient ça ? Et bien à force d'étudier les distorsion dans les phénomènes de communication et dans les raisonnement (surtout dans les raisonnements d'ailleurs), les psychologues cognitivistes vont finir par dire que l'humain a tendance à aller au plus simple en terme de pensée, à user de raccourcis de pensée (ou heuristiques). De fait, à chaque fois, en plus d'aller au plus vite, au fond, il n'a pas connaissance des situations sociales dans lesquelles il évolue (naïveté).

 

[la suite au prochain article]

Commenter cet article