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L'incompréhension de la communication

Publié le par Scapildalou

Ça faisait un bail que je voulais faire un article sur la communication mais je n'avais pas de porte d'entrée convaincante. Comme d'hab', c'est la bêtise qui me l'offre et cette fois encore, elle a un nom : Laurent Karsenty. Laurent Karsenty, ergonome de droite pro-patron s'il en est, ne fait pas que dire des bêtise. Il en écrit aussi, et en l'espèce, je vais me baser sur son bouquin « L'incompréhension dans la communication » que j'ai évoqué dans l'article précédent sur les biais en psychologie cognitive.

J'ai donc reçu d'occase le livre de Karsenty, que j'ai parcouru en vitesse. Il est propre, net, et en apparence sans bavures. Il est détaillé comme les ergo savent détailler leurs travaux. Il est inconséquent, comme les ergo savent l'être depuis que la discipline a été dévoyée.

Plusieurs choses frappent le lecteur dès la lecture du sommaire mais n'allons pas trop vite. Qu'est-ce que la communication selon Karsenty ? Il s'agit d'un processus qui est décrit comme intangible, comme étant supposée être partout et tout le temps la même. Le but de Karsenty est d'étudier non pas exactement la communication, il y a un biais immense à ce niveau qui ne semble même pas être conscientisé chez l'auteur. Au fond, ce qui l'intéresse, c'est d'étudier la communication dans les prises de décision chez un acteur supposé être tout le temps neutre et interchangeable en situation de travail. Alors il ne s'agit pas de n'importe quelle situation de travail, il s'agit de situations de travail de haut niveau, mettant en prise des tâches auxquelles sont confrontés les cadres ou des niveaux de cadre, comme le pilotage d'avion, de bateaux, ou bien la communication d'un cadre dans l'atelier envers ses subordonnés. Les autres situations envisagées sont minoritaires. Pourquoi ce point de départ jamais annoncé tel quel ? Parce que Karsenty se préoccupe de ces situations en particulier. C'est là qu'il fait son beurre et notons le, ce beurre est bien gras.

À un haut niveau décisionnel, des difficultés dans les échanges d'information peuvent entraîner des déperditions majeures voir des accidents dantesques, à commencer par un crash aérien. Certes. Mais même là, comme nous allons le voir, Karsenty ne règle rien. D'autre part, l'autre point de départ qui n'est là non plus pas explicité, c'est un présupposé que la communication peut-être pure, idéale, nette comme de l'eau de roche et qu'elle souffre de biais qui peuvent être réduits sinon effacés. Là encore : prière de la payer pour qu'il vous dise comment faire. Faites attention les honoraires sont élevés. Pour ce qui est de la question des biais il me faudrait faire un petit paragraphe dessus mais je vous invite à lire les deux articles sur la question publiés il y a peu sur ce même blog.

Première chose, je l'ai déjà laissé entendre ci-dessus : Karsenty n'a pas de théorie du sujet. C'est-à-dire qu'il ne développe ni conception de l'humain en tant qu'être humain et que les théorie de la communication font fie d'une véritable prise de position dans ce qu'est la théorie du langage, selon moi consubstantielle de la théorie de l'humain, du sujet. Mais qu'est-ce qu'un sujet ? Karsenty ne le dit pas. Qui parle ? Qui parle comment et qui écoute ? L'auteur ne se fera pas de mal à le détailler. On pourrait donc dire que sa perspective est a-théorique au sens propre car il ne développe là aucune théorie et ne s'appuie sur aucune théorie fondamentale. Certes, l'ouvrage témoigne d'une parfaite maîtrise de l'exercice universitaire, en mettant en perspective des travaux, en faisant des revues de littérature, c'est-à-dire une avancées des travaux scientifiques sur la question de l'incompréhension dans la communication. Mais cette dernière n'est jamais approchée comme étant une situation disons « ontologique ». Nous sommes des être communicants, des être de langage, se développant du fait du langage, par le langage, parfois pour lui. D'ailleurs Karsenty fait sans aucun doute possible partie de ceux qui aiment parler et être entendu.

Quand je dis qu'il n'y a pas d'ontologie, c'est à entendre comme le fait que le langage et la communication ne sont pas approchés comme des situations permettant à l'humain non pas d'appréhender des situations, mais bien d'appréhender le monde et d'agir dessus, ainsi que d'agir sur soi et son environnement médiat et immédiat, en fonction des éléments catégorisés (objectivés) par tout un chacun comme composant une réalité donnée.

Ainsi : foin de relations d'autorité, de pouvoir dans ce livre. Et l'auteur de s'asseoir sur ce que Crozier et Friedberg avait pourtant annoncé comme étant primordial dans les relations au travail : la rétention d'information. Ainsi, si vous cherchez à comprendre pourquoi une information disponible ne va pas être exposée et conduire à une incompréhension, n'achetez pas les bouquins de Karsenty. Vous n'avancerez pas dans cette énigme, il vous laissera sur le bord de la route.

 

Je vais exposer ici un cas.

Je réalisais une intervention dans une organisation accueillant du public. Les syndicats et les salariés non syndiqués se plaignaient de ne pas être au courant des évolutions et ouvertures de poste au sein de l'entreprise. Point de vue de la direction sur le sujet « nous avons des difficultés en interne : nous avons des postes vacants or aucun de nos salariés n'y postule. Nous recrutons donc en externe, et après les salariés se plaignent de n'avoir pas été recrutés, or nous communiquons au sujet de ces postes ».

Je vérifie, et en effet, dans les locaux, à la vue de tous, s'offrent des annonces de place pour des postes qui vont être vacants. C'est un sujet majeur car l'entreprise offre peu de perspectives en termes d'évolutions de postes et de gratification, ce qui est largement demandé par les salariés. Or comme je viens de le dire, ça bloque. Les salariés ne voient pas les communications qui leurs sont destinées. Et le climat social s'en ressent.

Je vais sur le terrain voir des salariés qui sont au contact du public. Ils se plaignent. « on annonce des choses au public, et ils ne le voient pas. On met des affiches bien grandes, et pourtant, ils se disent ne pas être informés ».

Ah... voilà autre chose ! Le problème de communication, l'incompréhension dans la communication de la direction envers la base se retrouve dans la base envers le public. La démarche ergonomique n'est alors pas suffisante. Il faut pour expliquer la situation par une démarche psychosociale, sociologique et anthropologique. Sinon, ça ne passera pas, et l'inflation de la communication par le biais du numérique notamment ne changera rien à ce fait.

Si vous souhaitez le comprendre, ne demandez pas à Karsenty, il est incapable de se saisir de cette problématique.

La communication n'est donc pas exempte des relations de pouvoir et de domination symbolique. Pour qu'une communication soit bien reçue, de façon claire, il ne suffit pas seulement de travailler sur la limpidité du contexte, etc. Si une personne ne souhaite pas consciemment ou non être destinataire d'un message, vous pouvez communiquer comme vous voulez, vous serez toujours dans de l'incompréhension. Et si vous faites arriver malgré tout le message au destinataire qui jusqu'à présent se foutait la tête dans le sable, il risque d'adopter par d'autres biais de la défiance envers l'émetteur de ce message. C'est que la communication n'est pas un acte simple, ou une situation naturelle. C'est un ensemble social fait de rites de communication. Par exemple, que pensez-vous de ce qui suit : une personne vous dit :

« je ne passerai pas voir ton travail cet aprèm »

ou elle vous dit

« Salut ! Je suis désolé, j'ai un contre temps, je ne pourrai pas passer comme prévu cet aprèm »

L'information socle est identique dans les deux cas, mais le second message s'entiche de formules rituelles qui vont totalement modifier la teneur du message. La communication est d'abord un rituel. Moins qu'une façon de faire passer des messages, ce que je pense depuis le début et que je détaille à longueur d'articles sur ce blog, c'est que la communication n'a pas pour but initial de faire passer des messages mais de maintenir du lien. Le lien est ce qui fonde l'humain et l'humanité. C'est la fonction du symbolique. C'est le taylorisme et le fordisme, dans une sorte d'hygiénisme industriel qui ont exclu de la communication (et qui ont introduit cette théorie de la communication comme acte a-théorique) le symbolique. L'enjeu n'est autre que d'exclure l'ouvrier, de façon générale le dominé, de la communication. Forcément, ça fait beaucoup de monde dehors... Et c'est aussi le but de Karsenty : si la CGT dit-il lors de ses enseignements et de ses conférences, ne comprend pas, c'est un blocage. Si la direction d'une entreprise (Karsenty parle de la SNCF, pas dans son bouquin mais dans ses conférences) c'est alors qu'il y a des biais dans le partage d'informations, et qu'il faut travailler pour que les salariés comprennent les messages. Quels cons ces ouvriers quand même... Et si on se targue de dire que les messages de la direction sont une attaque directe des conditions de travail des salariés, Karsentu vous répondra (moi il me l'a dit) « oui mais à dire ça, on part vite sur des discours disant que les dirigeant sont mauvais, ce n'est pas acceptable ! » Et prière de se taire pour écouter le maître.

C'est que l'acte de production est lui aussi un acte ontologique, symbolique et culturel. Ce que dit Yves Clot que j'ai un peu taillé de façon injuste dans un précédent article, c'est que le travail est d'abord la production d'un discours qui s'exprime par le corps.

La communication selon Karsenty se déroule en dehors de toute relation de pouvoir et de tout jeux de status. D'ailleurs ces deux mots ne sont pas présent dans tout son bouquin. Le fameux « cause toujours » qui est à l'origine de nombreux problèmes de mésentente, sinon tous (comme dans le cas évoqué plus tôt) ne peut être analysé par Karsenty. C'est dommage, parce que ça veut dire qu'il parle dans le vide. Et ce n'est pas un problème d'incompréhension...

La communication n'a pas lieu dans un vide, elle est toujours prise dans un contexte. Pour le coup, Karsenty prend en compte le contexte mais là encore, ce terme, malgré le nombre de pages (en fait l'essentiel du livre) est décidément vide de sens. Le contexte, c'est l'institution qui le fournit. Par exemple le cas évoqué un peu trop brièvement des incompréhensions ayant conduit à la collision des deux boing 747 sur l'aéroport de las Palmas aux Canaries. Karsenty connaît sur le bout des doigts ce terrible accident qui a entraîné le nombre de victimes le plus élevé de toutes les catastrophes aériennes ayant eu lieu. Mais dans son ouvrage, les causes sont évoquées bien trop brièvement, et ce n'est certainement pas un oublie.

Las Palmas, Karsenty ne le dira jamais, est l'aéroport sur lequel il y a eu le plus grand nombre de catastrophes aériennes majeurs. 4 crashs ont eu lieu sur ou autour de cet aéroport. C'est déjà un signe, le signe que quelque chose cloche mais Karsenty ne fait jamais allusion à ce contexte. C'est un peu comme parler des accidents d'alpinisme en s'attardant sur les erreurs des alpinistes sans jamais dire qu'il s'agit là d'une pratique où les accidents son nombreux, sans parler des dangers de la montagne même pour les randonneurs de bas étage dont je fais partie.

Deuxièmement, la catastrophe de 1977 de Las Palmas a lieu... lors de la reprise du travail suite à une grève. Rien que ce mot, « grève », fait faire des cauchemars à notre auteur, donc inutile de dire qu'il ne s'attarde dessus que pour déplorer ce contexte. À partir de là, les incompréhensions dans la communication paraissent former une base certes importante, mais néanmoins incomplète pour expliquer l'accident. Et pourtant, Karsenty se livre sans vergogne à cet exercice.

L'institution, que je ne détaillerai pas ici, est une sorte de contenant accepté comme tel, certes porté par des éléments non tangibles, ce qui fait d'ailleurs pousser des railleries par Karsenty (« mais la société, elle est où ? Elle est là, elle flotte dans l'air ? » disait-il pour discréditer l'idée d'éléments non tangibles lors d'une conférence, sans se soucier qu'il détruisait ainsi la psychosociologie qu'il ferait pourtant bien d'apprendre). L'institution est donc un élément relativement stable, porteur d'éléments de langage, de rituels de communication, assignant les acteurs à des places et délégitimant les discours de ceux qui ne se plient pas à ces rituels ou alors qui sont à des places où leurs discours ne peuvent être retenus comme étant audibles, acceptables.

Tout le monde a vécu cette situation où l'on a annoncé une analyse, qui n'a pourtant pas été entendu malgré ce qui s'est avéré lui donner raison. Les places dans le discours sont assignées. Je renvoie au discours d'introduction de Foucault au collège de France, nommé « l'ordre du discours ». On n'échange jamais de simples messages, on s'inscrit dans un discours.

Enfin, de façon bien plus pragmatique, jamais Karsenty ne sort du schéma E-R (émetteur – récepteur) même si ce schéma est suranné. Pour lui, la communication mets un jeu deux personnes qui échangent ensemble. Or justement, s'il avait lu un peu d'ergonomie et si cette dernière discipline avait un peu plus bossé auparavant (je lui aile un beau costard là), elle aurait pu progresser bien plus vite à ce sujet. Ainsi, une observation dans un avion de la marine nationale réalisée par des ergonomes apporte de précieux éléments. Les ergonomes souhaitaient observer donc les communications entre les opérateur sonars de l'avion et leurs officiers volants. Mais la difficulté est vite apparue aux chercheurs. C'est qu'il était difficile de schématiser la direction des interaction. Un opérateur donnait ainsi une information à son chef, mais c'est un autre opérateur qui lui répondait, et éventuellement un troisième qui agissait. La communication mets rarement aux prises deux personnes physiques et si c'est le cas, d'autres personnes non présentes sont rarement convoquées là aussi. Par exemple deux travailleurs du bâtiments se mettent d'accord sur une chaîne d'action à suivre. Que vont-ils faire ? Ils vont convoquer des acteurs non présents physiquement mais existants de façon synchronique « le chef a dit que » « dans l'équipe B, il vont avoir besoin de... » ou diachronique « oui mais nous, une fois, nous avons fait telle chose... » « mais à coup sûr l'équipe qui va venir ne saura pas ce que l'on a fait... »

 

Conclusion

La communication n'est donc pas un acte neutre. Elle mets toujours en œuvre des acteurs certes au prises avec un contexte, mais aussi avec un système porté par une institution. Enfin ces acteurs ont entre eux des relations de pouvoir symbolique ou formelles. C'est exactement ce que les positions a-théorique de la communication cherchent à gommer. Et c'est ce qu'il faut réhabiliter, pour ne pas que la communication soit autre chose qu'un simple avatar de la propagande.

 

 

 

 

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