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De la méthodologie 2 - Elements de méthode (2)

Publié le par Scapildalou

Pour le dire vite, tout objet possède une fonction psychologique. Qu'est-ce qu'une fonction psychologique ? Il s'agit de la façon dont un objet devient le support, dans notre quotidien, de notre développement psychologique. En vrai, tout objet n'est pas suffisamment présent dans notre réalité pour exercer une fonction psychologique (d'où le fait que j'ai commencé en disant « pour le dire vite ») mais dans les faits, tout peut exercer une fonction psychologique mais cela dépend bien entendu de la Culture, de la culture (cf. la différence entre culture avec un grand 'C' et un petit 'c' chez Kremmer et non chez Boesch comme je l'ai dit à plusieurs reprises sur ce site, même si j'ai lu cette différence chez Boesch, mais c'était lorsqu'il citait Kremmer...)

Au final, quelques objets, quelques éléments de notre quotidien vont exercer une fonction psychologique et ce sera au détriment de tout le reste. En effet, si tout ce à quoi nous nous confrontions devait devenir un support incontournable de notre développement psycho-affectivo-cognitif, en ce cas, soit nous ne pourrions nous confronter à une réalité bien trop complexe, soit nous ne pourrions nous développer.

Le travail exerce dans nos sociétés une fonction psychologique non négligeable, et il faut renvoyer ici aux travaux d'Yves Clot et de la psychologie du travail d'orientation ergonomique moderne. Elle découle en ligne droite des travaux de Marx (notamment dans le Capital) et de leur reprise quasi-texto par Vygotsky en URSS une quarantaine d'années seulement après le décès de Marx.

Ce que nous disent les penseurs du Marxisme donc, à commencer par Marx Imself, c'est que le travail n'est pas une simple activité, comme j'ai pu l'évoquer plus tôt, d'ailleurs il n'y a guère de « simple activité » même si celle-là est particulière. En effet, contrairement au fait de faire le ménage, du sport, des confitures ou un jeu de société, le travail est non seulement une activité productive, entièrement tournée vers la production, mais en plus elle est aliénante du fait de déposséder le travailleur. Avant d'aller plus loin, notons que le travail est le lieu de la dépossession de la personne laborans, de celui qui œuvre. Une dépossession bien entendu parce que cela fait un bail et peut-être est-ce que ça a toujours été le cas, que le travail est dépossession des fruits du travail par le propriétaire des moyens de production, ou au moins par le maître. Ceci dit, le travail par essence est le lieu du partage et l'expropriation des fruits du travail est une forme de travail – un peu forcée certes, mais il s'agit bien d'un partage. Lorsqu'une société peu complexe et solidaire mets ses sujets au travail, pour la chasse et la cueillette par exemple, le tout mâtiné de pêche et des activités permettant de se loger, d'assurer l'hygiène et l'éducation, et bien les produits de l'activité de travail sont destinés à être redistribués. On donne les fruits de la cueillette à ceux qui sont restés au village.

Le travail est donc une participation à la collectivité, il est création, c'est-à-dire « opérations » au double sens du terme. Opération veut dire « ouverture » dans le sens où le travail va ouvrir dans la réalité une place où sera accueillie les fruits de sa production (sur le parking il n'y avait rien, en fin de journée, il y a plusieurs voitures qui ont été finies à l'usine... Le travail produit un stock de choses qui avant n'existaient pas). « L'opéré » en ce sens est ce que l'on nomme une œuvre, c'est-à-dire l'ouverture.

Il est aussi opération dans le sens où il nécessite d'opérer des gestes et de la coopération entre humains-laborans présent sur le site (symbolique ou non) où s'exerce le travail. Cette scène où se déroule l'exercice de la co-opération et l'ouverture dans la réalité est un véritable balai, un « opéra » (littéralement : « le lieu d'ouverture » [du rideau]).

Nous l'avons dit dans les textes précédents mais il nous faut y revenir : le travail, l'activité en général est ce qui nous lie avec les générations antérieures. En effet, ce sont elles, au moins, à qui l'on doit la société qui nous laisse être aux prises avec ce que nous exerçons mais pas seulement. Ce sont aussi elles, dans les activités complexes comme c'est le cas pour le travail, qui nous ont légué les ficelles du métier, les trucs et astuces nécessaires à nous confronter au réel. Le travailleur qui débute son activité a en général (toujours en vrai) besoin des conseils des anciens pour réaliser son activité de travail et devenir efficace. La « maîtrise » d'un geste, à fortiori lorsque celui-ci s'agence avec les gestes des autres travailleurs lorsque la coopération est simultanée (des travailleurs qui travaillent en même temps sur la même pièce), nécessite de recevoir des instructions des anciens.

Nous nous sommes écarté de la fonction psychologique du travail ? Du tout. Il faut admettre que les contingences, tout ce qu'il est nécessaire de réaliser pour réussi à bien travailler oblige à réaliser un autre travail, le travail de et sur nous. Qui n'a jamais travaillé sans devoir s'adapter, sans se demander « qu'est-ce que je fous là », sans trouver un certain plaisir, sans souffrir et chercher du sens pour continuer à retourner le lendemain se faire exploiter, etc. Bref, qui n'a jamais été touché par son activité de travail ? Personne. C'est la définition du travail. Armé de ce constat, il nous faut bien l'admettre : le travail nous fait évoluer au moins parce qu'il nous questionne : c'est ce que l'on nomme « la confrontation au réel ».

Mais le travail est aussi reconnaissance et là encore de soi par la société et de soi par soi. Lorsque je me tire d'une situation complexe, lorsque je fais un travail sur moi qui me permet de maintenir et développer un potentiel d'action sur le lieu du travail, lorsque je me dépasse ou lorsque je me sent avoir réussi quelque chose, alors il y a deux éléments notables : le premier, c'est le sentiment d'efficacité, celui de me sentir appartenir à un moment, ce moment étant la marque de la société dans laquelle je me trouve. Par le travail, je rentre dans l'histoire humaine, mon œuvre, ma réalisation est le signe de mon appartenance à l'humanité. En termes de filiation, le travail est aussi important que d'avoir un enfant, c'est dire s'il exerce une fonction sur notre identité et notre dynamique interne. Deuxièmement, lorsque je réussi à dépasser une situation, c'est grâce au travail que j'ai effectué sur moi-même. Je « me dépasse », j'ai appris. Par le travail, je me suis développé.

Tout cela forme ce que l'on nomme une fonction psychologique. Cette analyse est développée ici autour du travail, mais vous prenez la voiture pour un passionné de tunning, le sport pour un sportif, etc. et vous avez le même résultat. Toute activité réalisée autour d'un objet ou de la production d'un objet a donc une fonction psychologique.

 

2-partout autour de nous, des constructs

D'ailleurs, qu'est-ce qu'un objet ? Le « jet » d'objet se retrouve bien évidemment dans projet, sujet, etc. Qu'est-ce donc que ce 'jet' ?

Le terme désigne ce qui est placé en dehors (le jeté) ; le terme objet est presque un synonyme du mot définition au moins parce qu'il (sup)porte les mêmes contradictions en ce sens qu'« objet » (ne pas oublier le sens « d'être objet de... ») désigne un élément de la réalité qui ne se définira qu'en fonction des liens avec la réalité. Cette réalité est celle de la personne qui définie l'objet d'une part, mais l'objet est aussi définie en fonction d'éléments de la réalité qui peuvent le définir et le rattacher à cette réalité, ce sont ses propriétés. Encore une fois, la propriété est à la fois rattachement à une réalité mais un rattachement qui est à double sens : à la fois nous avons les pieds sur terre, et d'un autre côté nous voilà rivé et incapables de nous en décoller, c'est-à-dire nous nous trouvons dépendants de cette réalité telle qu'elle a été définie. C'est ce qui est de l'ordre de la contingence et nous permet de définir la propriété dans un sens peu commun à savoir comme étant un rattachement contingentant la personne et une dépossession de celui et par celui qui possède. Posséder, c'est être possédé ou au minimum, être dépendant. Ce n'est pas rien de le dire.

Ça, c'était pour les liens entre objet et sujet lorsque nous nous considérons comme étant sujet. Voilà une belle chose de faite, mais nous n'avons pas répondu à la question qui est la notre, rappelons-là pour être d'accord : la question est : dans ma méthodologie, c'est-à-dire le cheminement (le mien, en tant que rédacteur de ce texte) qui me permet au quotidien d'appréhender et questionner le monde dans lequel je vie, que sont les objets et comment viennent-ils ? Comment apparaissent-ils, et la question n'est pas mince puisque apparemment, ces objets nous dépossèdent une fois qu'ils émergent !

Le processus « d'objectivation » et « d'ancrage » a été décrit en long et en large par la psychologie sociale lorsque celle-ci se centrait sur l'étude des représentations sociales, c'est-à-dire des idées dites « naïves » dont tout un chacun sommes porteurs, qui sont des idées dépendantes des groupes d'appartenances. Ces représentations ont pour fonction de nous permettre de mieux appréhender le monde, d'orienter nos attitudes et surtout de les orienter. Elles ont aussi une fonction identitaire puisqu'elles sont propres à un groupe. La psychologie sociale s'est donc intéressée à la façon dont un objet apparaît dans notre réalité quotidienne (dont il est objectivé) et dont il s'ancre aux représentations déjà existantes chez nous et au sein de notre groupe social. Bien entendu ces processus ne sont pas sans lien avec la construction et les processus d'appropriation du savoir, ainsi que les modalités de partage des connaissances mais ce n'est pas exactement le sujet ici même s'il est excessivement intéressant (et a été traité en long et en large sur ce blog). Ce qu'il est important de retenir, c'est que cette conception de la construction de la réalité n'est pas anodine, car en fin de compte, justement, elle aboutie à ceci : elle n'est acceptable si et seulement si nous considérons que la réalité est un construct, c'est-à-dire une construction. Mais dans quelle mesure cette assertion, cette conception de la réalité est-elle généralisable et acceptable ?

En effet, elle implique plusieurs éléments qui font un sacré débat, un blast énorme et l'objet de clash épistémologiques sur lesquels les imbéciles se brisent la logique (je pense à des personnes en particuliers qui sont fatiguées et fatigantes).

Bref. Allons-y. Quelles sont les implications :

-d'une part il faut déterminer ce qui est ou non un construct, c'est-à-dire une construction de l'esprit. Là dessus, rien que sur ce point, les conflits sont énormes. Je ne vais pas passer par quatre chemins, juste rappeler que cette question est l'équivalent de savoir dans quelle mesure il existe une nature humaine. Ma réponse, en ce qui me concerne, est sans détour : il n'existe aucune nature humaine. Même la nature en soi est une construction (au moins du fait de l'anthropisation du monde) mais surtout, les éléments qui nous permettent d'appréhender la nature, tous reposant sur un unique support qui est le langage, sont des constructs. Rien qui n'existe à l'humain n'échappe au filtre de l'humanisation, c'est-à-dire est transcrit dans le langage avec ce que cela comporte.

Non seulement le langage est contingent. En d'autres termes, les termes, les mots, les notions et concepts sont définis en fonction d'autres mots, notions, concepts, etc. c'est ce que nous avons nommé plus tôt « la récursivité ». Il en résulte qu'un fait nouveau issu des sciences des par exemple et qui touche à ce qui est le plus naturel de la nature si l'on peut dire, sera traduit dans un langage humain, c'est-à-dire contingenté. La nature n'existe que par l'humain et son langage et se poser la question de la nature c'est déjà être dans l'humain. La question de la nature est une question toute occidentale ; se poser la question de la nature c'est se placer dans la philosophie occidentale et d'ailleurs se détacher de cette question comme je le fais, c'est encore et toujours se positionner dans la philosophie occidentale. D'autres sociétés ne se posent pas cette question de la nature : pour les peuples vivant en Amazonie et que nous décrivons comme étant si proche de la nature, eh bien un constat émane des anthropologues qui pour l'occasion sont unanimes : pour ces peuples, la nature... n'existe pas. Le concept n'existe pas. Il faut se considérer réellement en dehors de la nature et se croire bien trop intelligent pour croire qu'existent des faits de nature qui nous dominent et nous déterminent.

Pour ma part, j'essaie de demeurer modeste.

-deuxième point : si tout est construction humaine, comment appréhender les faits puisque dans ce cas, les montagnes, la mer, la santé, le corps, la vie animale, etc. va nous échapper. La compréhension des choses serait donc du langage et seulement du langage ce qui revient à dire que tout est relatif au langage et donc risque de faire tomber dans un relativisme axiologique (tout se vaut puisque tout est de même facture). Il faut être sociologue pour penser ainsi ! Mais de nombreuses personnes sont sociologues, sans le savoir parfois. Passons. Il faut bien l'admettre pourtant : encore une fois, la nature n'est pas du tout la même chose pour nous (qui distinguons nature et culture) que pour les peuples amazoniens. La montagne n'est pas la même chose pour les peuples vivant au Népal, dans les Pyrénées ou dans la Beauce. Pourtant disent certains, la montagne est bien là ! Allons voir sur le périphérique Toulousain par jour de beau temps : au sud, on voit bien la montagne, non ?

Oui, nous voyons ce que notre société nomme la montagne, mais il n'y a qu'à s'y rendre avec une personne qui ne s'est jamais rendu en montagne, qui n'y a jamais randonné, pour se rendre compte que la chose montagne n'est pas évidente pour tout le monde. Et encore, je ne parle pas des différences entre ce qu'un habitant des montagnes et un géologue regardant une carte peuvent dire des montagnes. Ainsi, il faut admettre que les faits, qu'ils soient de l'ordre de la géologie, de l'étude des étoiles ou bien qu'ils relèvent de la société, sont toujours appréhendés par de complexes opérations qui sont celles du langage. Et d'ailleurs, ce langage est tellement contingenté et contingentant que certains éléments de « la nature » nous échappent et nous échapperont toujours : la lumière : une particule ou une onde ? Le manque à mettre du sens au final sur tous ces points, ce sens qui au bout du compte ne manquera pas de manquer est ce dans quoi beaucoup choisissent de mettre un point final du nom de dieu. Nom de dieu ! J'ai choisi une autre voix pour mon cheminement, il s'agit du socio-constructivisme qui me permet de faire des divinités un sujet d'étude tout à fait abordable.

Foin d'objectivité, fini la nature humaine et toutes ces choses fort embêtantes et propres à ne se faire que des ennemis – d'ailleurs, le besoin d'objectivité et celui de définir une « nature », on le verra, découle d'un besoin d'ennemis. Ce sont là des statues accueillant le sacrifice, le sang, dans des sillons élimés par tant de fluide rouge tirés aux sacrifiés ; ces concepts sont des concepts de combat, dont le but est de faire taire. Alors taisons-nous lorsque l'on nous les formule ainsi : le retournement énerve en ce cas les imbéciles qui voient partir au caniveau leur propre sang, ou bien au contraire ils vous prendrons pour des imbéciles et s'acharneront à vous faire mal pendant que vous attendrez la fin de votre sacrifice. Mais de tels scarificateurs font des fêtes rue de l'identité dans lesquelles ils sont bien seuls. Suivez-les y, et avant qu'ils ne rentrent dans leurs troquet, je leur dit : je ne suis pas convaincu, mais... de toute évidence, je ne vois pas comment tu aurais tord. Le goût de leurs pain est ensuite amer.

Un objet, un construct (nous nous tiendrons au fait qu'il s'agit quasiment des mêmes choses) est donc un élément de la réalité qui va prendre une certaine autonomie. D'où émerge-t-il, puisque nous avons sorti deux hypothèses confortables et imbéciles que sont dieu et la nature objective ? Le conflit, l'absence d'entente et la divergence sont les moteurs de la création d'un objet. Ils sont les faces différentes de la confrontation au réel, que nous avons définie plus haut, lorsque nous discutions du travail, comme étant la confrontation avec une situation problématique. La problématique, ce qui pose question est ce qui va donner un objet – pour rappel, l'objet est par définition le « posé devant » - ce qui fait de la question une première réponse, comme nous le verrons plus loin dans la partie à venir sur la convocation et la provocation.

Le construct, l'objet est donc façonné en fonction de ce qui suit :

-il émerge suite à une confrontation, lors de l'exercice d'une activité (d'où l'importance d'avoir abordé précédemment la question de la fonction psychologique liée à l'exercice d'une activité)

-nous l'avons dit : toute activité est confrontation avec le réel, mais une confrontation collective dans l'instant (de façon synchronique, puisque l'opération est co-opération), de façon diachronique (avec le passé tel qu'il s'impose à nous et le futur tel que nous l'anticipons), et de façon vicariante lors d'expériences diacritiques (c'est-à-dire dans la construction d'une identité, d'un soi, par rapport à ce que nous estimons être et avoir été – des expériences qui permettent de se différencier de notre moi, de nous dire « je deviens, je suis devenu » par rapport aux autres « moi »).

-il doit son existence à ce qui existe déjà dans le langage : nous appréhendons la réalité en fonction de ce que nous définissons comme étant notre réalité. Celle-ci dépendant de la façon dont nous utilisons le langage et les contraintes du langage sur notre définition des choses.

-l'objet se construit donc en fonction de ce qui existe ; il émerge non pas comme une fleur sr un arbre ; il est objet de débat, de consensus, de dissensus, de consentement et de révoltes. L'objet n'est jamais une construction individuelle : il est toujours social.

-l'objet, en s'ancrant dans nos représentations, en s'ancrant dans une réalité qui ne lui réservait pas de place à priori (j'ai horreur de l'expression « la nature à horreur du vide ») va modifier par le jeu d'une subtile dialectique l'environnement et les autres objets de sa réalité. Par exemple, une fois que les attentats du 11 septembre ont fini de nous choqué, nous avons tous admis comme vrai cette phrase : « il y aura un avant et un après 11 septembre ».

 

Un objet est ainsi créé deux fois et là, je récite mon Vygotsky. Il est dans un premier temps intégré à une réalité déjà existante puis il est ensuite approprié, modifié de façon à adhéré, à devenir « naturel » pour tout un chacun. Mon 11 septembre n'est pas le 11 septembre d'un citoyen New-yorkais.

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