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L'âge du témoin

Publié le par Scapildalou

[note avant de lire ce texte – le texte qui suit est, je trouve, un peu complexe. Pour rappel, ce blog sert à garder mémoire, pour moi en premier lieu, de certaines réflexions. Le but est d'essayer d'aller dans le fond des choses. Ici c'est le cas, au détriment de la lisibilité. L'idée de fond de ce texte, est d'étudier en quoi lorsque l'on signe un contrat la présence d'un « témoin » est nécessaire (par exemple les témoins de mariage). Sans ce témoin, le contrat, surtout s'il est rédigé par l'une des deux parties, n'est pas réellement un contrat, mais l'acte de la domination d'un des deux signataire sur l'autre – comme c'est le cas dans les établissements scolaires par exemple, qui font signer des contrats aux élèves. Voilà le résumé de ce qui est contenue dans le texte. Maintenant, vous pouvez lire si vous voulez voir les détours de la pensée...]

 

Ce texte vise à souligner l'importance du témoin au regard d'un contrat (formel ou au moins une situation de contractualisation explicité telle quelle). Je renvoie au précédent texte, écrit il y a quelques mois, sur le contrat, publié sur ce blog – cet article y faisant suite.

Le contrat, la chose paraissant tellement évidente qu'on l'oublie un peu vite, se fait pour conclure (dimension de conclusion du contrat) entre les parties prenantes d'un conflit existant ou d'un dissensus potentiel (dimension du rapport social du contrat) avec un témoin (dimension de tiers).

En effet, un contrat ne peut jamais être un rapport social sans être un rapport de force s'il n'y a pas de tiers, à fortiori un tiers incarné dans un témoin. Au temps des romains par exemple, les contrats, des textes que l'on a gardé, étaient signé entre deux parties avec des témoins présents, mentionnés dans la conclusion du contrat. On retrouve ce type de témoignage dans le contrat de mariage par exemple, en l'espèce les témoins de mariage – mais la place de l'état n'est pas non-plus anodine, puisque la cérémonie de mariage comprend un protocole très stricte.

Ainsi, sans tiers, le contrat, en principe, ne vaut rien. Le témoin est là aux yeux de l'histoire, par sa présence il incarne le recours futur, en cas de litige, à la régularisation des tensions entre les deux parties, concernant les clauses telles qu'acceptées par ces deux parties au moment de la conclusion du contrat.

En rendant, autre exemple, le contrat de travail obligatoire, l'état se porte ainsi garant et créé l'établissement d'un document faisant foi. Car c'est bien de foi qu'il s'agit, puisque se joue un rapport au futur et à la relation dans le futur : « la foi dans le futur », telle est l'étymologie du mot confiance, rappelle L.Kersanty (qui n'a pas d'autre mérite de nous rappeler cette étymologie – lisez ses bouquins, vous verrez). La confiance, pour s'établir, nécessite un référent, comme toute règle car la confiance est finalement un autre terme pour signifier les règles entre deux ou plusieurs entités se tenant en respects (à tous les sens du terme!) les unes envers les autres.

Toute règle à besoin d'un témoin : ce témoin est nécessaire pour définir ou fixer la limite de « la ligne » par laquelle on juge qu'ici se trouve la valeur d'atteinte ou de dépassement d'une limite (les bornes frontières de la règle en quelques sorte – ainsi que les graduations de cette règle qui est à la fois horizon – la limite de la règle – et perspective : le chemin jusqu'à l'horizon).

Il faut donc une référence qui peut servir « d'horizon » validable (le terme existe-t-il ? Peut-être faudrait-il dire 'valide', mais je craint que le sens soit écorné) par un autrui potentiel pour que la règle existe. Il en va de même pour la confiance. Que la règle soit dite, écrite, etc. c'est-à-dire en tous les cas symbolisée, il faut qu'un autrui potentiel puisse dire ou comprendre l'existence de cette règle. La perception n'est jamais « objective », elle le devient, objective, lorsqu'une personne extérieur, vient valider cette perception. Finalement, l'objectivité vient de la reconnaissance.

On pourra certes dire, en guise d'objection, que lors d'une relation duale (en couple par exemple) il n'y a pas nécessairement besoin d'inscrire tout le temps chaque règle dans le marbre. Mais il s'agit là d'une relation différente qui est celle de la relation « au visage à nu » pour reprendre les mots de Lévinas, c'est-à-dire l'accès à l'autre sans l'habillage social habituel (on a dit qu'il en allait des relations de couple, mais aussi des relations thérapeutique, amicale, de certaines relations professionnelles, etc.) Dans ce type de relation, dès lors qu'elle est engagée et, soit dit en passant, parfois à corps défendant d'un (relation d'emprise) ou des deux membres (relation fusionnelle) ou plus (situation de « groupe fusion ») de ce type de relation, puisque l'intérieur de l'individu est amené à être à nu, on peut dire que l'intime est engagé. Dès lors, l'intime est l'enjeu, la référence ; la limite n'est pas une règle, la limite devient l'autre soi, celui que l'on ne veut pas devenir au regard de l'autre.

Dans tous les autres cas, la règle nécessite donc pour s'établir trois pôles. La règle n'existe pas s'il n'y a pas de repli possible sur un alter, un Autre imaginaire ou non, quelque chose en tout cas qui fasse office d'« au regard de ». cet « au regard de » qui fait figure de possible regard de l'autre, qui peut sanctionner de la sanction de la « perte de la face » (Goffman). L'alter, ce qui fait tiers est ce qui permet de fixer la référence et de signifier la perte de la face (« je reconnais que tu as trahis le contra qui tu avais conclu avec l'autre »). Il y a donc un replis du contrat sur la question du tiers.

 

*

 

Mais l'illusion d'autonomie comme auto-engendrement de soi efface totalement la question du rapport à l'autre comme rapport de force. Le rapport est le lieu où se fixent les limites du lien à l'autre. Cet auto-engendrement de soi comme idéologie, le vers-à-soi, l'appropriation de soi où l'individu part de lui-même pour revenir à lui nie totalement que l'existence de soi est définie par la présence de l'autre : on n'est pas sans les autres. Or cette idéologie de l'autonomie nie cette dimension de témoin et d'inscription, de nécessité de définition et de besoin de traces pour prouver l'existence. Dès lors, se concluent des contrats sans tiers, entre deux parties dont l'un est dominé par l'autre. Ce contrat est nécessairement biaisé et en vrai vise à légitimer la soumission du faible en l'engageant, en le faisant acter sa faiblesse. Les contrats élèves-établissement scolaire par exemple relèvent de ce type de logique.

Le contrat, s'il doit être valide devrait être signé « au regard » d'une personne extérieure qui validerait les positions de l'établissement et de l'élève, ce qui supposerait que l'élève soit en mesure d'agir sur le contrat. Or ces contrat, au final, sont écrits par les établissements et visent à faire s'asseoir les élèves, à acter un ordre moral.