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Histoire du travail, de comment les hommes se le sont représenté et y ont participé (1) Introduction

Publié le par Scapildalou

 

Depuis quelques années, avec la création du statut d'auto-entrepreneur notamment, la question du travail et de sa place dans la société se pose avec une nouvelle acuité. Le travail a été longtemps corrélé au salariat et à l'emploi ; s'il demeure toujours majoritairement lié à cette forme, se pose néanmoins la question de comment cette fusion a pu se faire. Cela revient pour moi à expliquer à travers quels processus, dans quel « flux historique » s'est fait cette mixtion. En effet, le salariat se caractérise par un lien de subordination entre un employeur disposant des moyens de production et un employé disposant de sa force et de son intellect et qui est prêt à les vendre. Or l'acceptation de cette forme de relation au travail, de ce rapport social, ne s'est pas fait sans heurts. Pourtant, à l'heure où l'autonomie est une des valeurs les plus prisée de notre système ultralibéral, ce lien de subordination demeure un lien faiblement questionné et le statut d'auto-entrepreneur sert d'avantage à le masquer et à se délester vers un plus faible des responsabilité qu'une nouvelle forme de maîtrise des moyens de production.

 

Voilà pourquoi il me semble que le travail ne peut être étudier qu'à travers ces trois dimensions : son histoire, la façon dont on se le représente (notamment au niveau scientifique) et la façon dont les hommes et femmes y ont participé (plus ou moins de bon grès – souvent de mauvais grès, puisque le travail est le lieu de l'exploitation, d'où la corrélation entre histoire du travail et des révolutions).

 

Il convient de borner cette histoire. Je ne commencerait pas par les grecs, je commencerai au moyen-âge, juste avant que ne commence la mécanisation des procès de production. D'une part, il me semble intéressant de ne pas remonter plus loin, à des périodes tellement distantes que le présent du travail ne ferait plus réellement sens. D'autre part, parce que remonter avant le moyen-âge reviendrait certainement à se pencher sur l'histoire de la démocratie Athénienne. Or je pense que le travail au moyen-âge et les rapports sociaux qui le caractérise tiennent davantage des relations sociales en vigueur dans la société Gauloise que dans celle caractéristiques de la grèce hellénistique.

 

Avant d'entamer cette approche historique, je vais toutefois expliquer en quoi questionner le travail n'est pas seulement questionner une histoire de l'outil technique par exemple, mais une histoire de la société dans son ensemble, de la protection sociale, de l'art, de la culture, du droit, etc.

 

 

La dimension anthropologique du travail

 

Je vais devoir commencer à parler du travail en me contredisant, puisque je vais remonter, mais pour quelques lignes seulement, bien longtemps avec la grèce ancienne...

Yves Schwartz attribue une triple naissance au travail (Efros et Shwartz, 2009 ; Schwartz, 2004). La première date selon lui d'environ 2,5 millions d'années ; elle est relative aux premières productions d'outils en série par homo habilis. (Des équipes du CNRS ont récemment retrouvé au Kenya des outils datant de 3,3 millions d'années)

Cette production d'outil n'est pas anodine : essayez de reproduire ne serai-ce que des « chopper » peu complexes ! Il faut déjà avoir un geste précis : Ces nouveaux outils mis au jour sont en majorité des blocs de lave, lourds et volumineux, qui ont servi à produire des éclats tranchants au moyen d'une technique dite sur enclume. Cette technique nécessite trois objets bien distincts : le bloc à tailler, un percuteur et une enclume. Le bloc est maintenu sur l'enclume par une main pendant que l'autre utilise le percuteur pour frapper et obtenir des éclats tranchants à partir du bloc. D'autres outils ont été élaborés grâce à une technique différente, dite « sur percuteur dormant » : le bloc à tailler est directement percuté sur l'enclume. Malgré l'aspect rudimentaire de ces outils, la vaste panoplie d'objets retrouvée sur le site (éclats, enclumes, percuteurs, nucléus2), indique clairement que l'intention de ces hominidés était bien de créer des outils affirment les auteurs du CNRS.

De fait, le geste n'est jamais rien de moins qu'un processus complexe. Premièrement, un geste s'acquiert, ce qui veut dire : se transmet. En d'autres termes, la naissance de ces premières « industries » signifient une modification de la structure sociale. C'est une autre façon de donner du corps à la phrase de Marx : « donnez-moi un moulin à vent, et je vous donnerai le servage ». En effet, transmettre un geste dans un groupe peu étoffé revient certainement à un apprentissage individualisé, peut-être (sûrement) familial. Le geste de travail, de production, dans les temps reculés, étaient (fortement) porteurs de relations familiales. Par conséquent l'évolution du geste était susceptible de modifier la structure du groupe dans son ensemble puisque susceptible de modifier les relations familiales.

Nous noterons aussi que la production d'outils est très localisée ! Les groupes à l'époque savaient déjà où trouver quels types de matériaux. En d'autres termes, la naissance des premières industries entraîne la naissance de la géographie et la symbolisation des lieux. Les lieux, les sites, deviennent des lieux d'inscription de l'histoire collective non pas dans la forme qu'ils ont, mais aussi là où ils sont. Ce qui implique une représentation du territoire et certainement un partage de celui-ci avec d'autres groupes. De par le travail, via la question du territoire, la technique devient certainement mode de relation intergroupes.

C'est une des premières chose à garder à l'esprit lorsque l'on parle de travail : on parle de liens sociaux, du symbolique, de relations d'apprentissages, de structure familiales et des relations culturelles entre des groupes divers.

 

La seconde naissance du travail, selon Schwartz, renvoie au néolithique : « la vraie naissance du travail, dit-il, compte tenu de la prégnance sociale, économique, culturelle, qu’il y manifeste : on assiste à l’émergence de sociétés de production, sédentarisées, dont la temporalité de la vie sociale est organisée et scandée par les rythmes de l’agriculture et de l’élevage ».

Certainement au moment de la révolution néolithique, l'essentiel des groupes humains n'étaient pas nomades mais semi-nomades, c'est-à-dire vacant sur un territoire relativement restreint – quitte à le défendre. On retrouve vers le début de l'époque du semi-nomadisme les premières traces de mort violentes dues à la guerre ou au moins à des affrontements ritualisés en ce qui sera ensuite de la guerre. La violence telle que nous l'entendons aujourd'hui (essayons tout de même de na pas appliquer aux hommes vivant il y a 200 000 ans des règles similaires aux nôtres, alors que nous avons déjà des difficultés à replacer la pensée de Descartes dans son contexte...)

 

Quoiqu'il en soit, l'homme semi-nomade a pu, au cours de phases successives et avec de nombreux essais (certains ont certainement été fructueux avant mais la fragilité de groupes sur 100 ou 200 ans a du malmener les réussites dans le temps), réussir à trouver des moyens de stockage efficaces (silos, etc.) au point de laisser certains membres du groupe vivre auprès de ces sites de stockage en permanence. Le passage du semi-nomadisme au sédentarisme s'est certainement fait par le biais d'étapes progressives où les groupes pouvaient exploiter en même temps les deux modes de vie – voire abandonner sur un temps la semi-sédentarité pour y revenir plus tard, pourquoi pas...

 

Mais ce travail était à priori lié à la culture de céréales, ce qui implique l'apparition de nouvelles habilités en termes d'ingénieries agronomiques. Là encore, les rapports sociaux ont dû évoluer sans commune mesure. D'ailleurs, à partir de ce moment, on retrouve des traces de réification des croyances nouvelles : nouveaux modes de sculptures, bâtiments dédiés à « sanctuariser » les arts, et, dans la foulée, diversification des tâches au sein des groupes. Cette diversification permise (ou du moins facilité) par la profusion de nourriture apportée par les céréales n'a pas manquer de bouleverser les rapports sociaux en facilitant et diversifiant l'artisanat, en créant des terrains d'expérimentation (amélioration des techniques) et donc la spécialisation de certains membres au sein des groupes.

 

La dernière naissance date de l'émergence du capitalisme. Avec le capitalisme apparaît le salariat et la séparation du travail avec les autres sphères de vie (Efros et Schwartz, 2009). Nous passerons plus tard beaucoup plus de temps sur ce sujet bien entendu...

 

La catégorisation réalisée par Schwartz laisse entrevoir que la solidarité, le lien social et le travail paraissent indissociables.

 

 

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