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La collapsologie, une idée d'extrême droite ?

Publié le par Scapildalou

Se développe et se propage actuellement la colapsologie, le discours sur le « colapse », la fin de la société. Dans ce discours mâtiné d'écologie, sourde la crainte de voir disparaître notre mode de vie. La crainte ? Vraiment ? La peur de voir le monde disparaître ? J'en doute. Il ne s'agit pas d'une peur, mais d'une envie.

 

1-Le récit de la fin du monde dans la culture

La collapsologie fait partie de ce que je nommerai des discours « rédempteurs », un nouveau millénarisme, dont la source remonte aux année de guerre froide et à la peur de voir disparaître dans un conflit nucléaire le monde dans son ensemble. S'est dans les années 1980 diffusé un grand nombre d'histoire, toute une trame narrative en fait, à la fois dans la littérature de science fiction, dans le cinéma, une version du retour à la nature, contre-point de la vision hippy, mais une nature hostile née de la guerre, du tous contre tous. Il s'est agit de mettre en scène une fin des temps en se basant sur le sentiment d'être dépassé par la technologie, comme si la société dans son ensemble avait créé un monstre, un Frankenstein avide de sang. On retrouve bien entendu cette trame dans des films comme Terminator, Mad Max, Postman, The Road, etc. Plus tôt des films comme La planète des singes et Soleil vert avaient déjà exploité le filon. Les films de zombie se sont mêlés à cette vision post-apocalyptique, en premier lieu Je suis une légende qui marque le virage extrême droitier du genre (le livre étant une sorte de réflexion post mouvement Hippy bien plus progressiste que le film). Le récit post-apocalyptique est très fortement marqué par le mouvement punk, d'ailleurs la scène punk puis contestataire s'est appropriée le thème de la fin du monde et un renouveau sur une terre dévastée en proie à d'incessantes guerres de bandes.

En france, on retiendra le livre puis le film Malleville. En Grande-Bretagne, le récit était autre, mais avec un peu de courage ce sera l'objet d'un autre article. En URSS, le film Stalker présentait en 1980 un récit autre la aussi de la fin du monde dont le sens allait néanmoins varier car le scénario s'avérait prendre une dimension nouvelle après Tchernobyl – sens nouveau concrétisé par le jeu vidé du même nom ; au Japon, les films tels Akira et tous ce qui relève de ce genre renvoyaient d'avantage à une sorte de retour du refoulé de la seconde guerre mondiale et des bombardements atomiques.

Derrière ce récit, sourde la partie du nouveau testament, celui de l'apocalypse, de la fin du monde, réactivé à chaque fois que des craintes sociétales émergent. Les écrivains de cette partie de la bible avaient certainement un intérêt à voir le monde romain péricliter ; ceux du IVème siècle le virent changer et s'enfoncer dans des guerres incessantes. Plus tard, des villes comme la Rome éternelle furent pillées, et c'est un monde englouti, au sein duquel trônaient des ruines d'un monde passé, dépassé par des peuples dits « barbares » ayant foulé au pieds un mode de vie présenté comme apaisé et civilisé. Il ne faudrait ainsi pas sous-estimer le poids de ces ruines dans la culture des penseurs du début du moyen-âge et de la fin de cette période, puisque la renaissance par exemple trouve son origine dans la collection par les puissants d'objets issus des ruines romaines.

Le millénarisme va ré-émerger vers l'an mille (d'où le terme « millénarisme ») et sera ré-activé notamment lors de la grande peste qui verra un tiers de la population européenne succomber en quelques années au fléau (le film 28 jours plus tard s'appuie par exemple sur cette crainte d'une pandémie mondiale, ce sera aussi le cas de World War Z et bien entendu de Je suis une légende). En fait, la peur de la fin du monde brûlant telle Sodome et Gomorrhe dans les flammes était un mode de gouvernance, une façon pour la religion d'établir un pouvoir directe sur les ouailles. Seule la rédemption pouvait sauver les pêcheurs.

 

2-Ré-appropriation moderne

La peur d'un grand « collapse » refait surface de nos jours dans la culture, un retour marqué par un retour du fait religieux et communautaire – le film Je suis une légende étant marqué par des éléments explicitement empruntés à la scientologie dont fait partie l'acteur principal, Will Smith. Cette fois, des événement clairement dignes de récits apocalyptiques viennent appuyer cette résurgence : la peur du nucléaire, l'explosion de Tchernobyl, Fukushima, etc. Mais au final, plus que ces événements, ce sont surtout leur médiatisation qui sont à l'origine de la peur ; la société fait un spectacle des drames et catastrophe dont l'ampleur est marqué par la « systèmatisation » globale, même si finalement auparavant des catastrophes de ce type ont existé. On pensera à la grande peste, mais surtout au génocide des population natives du continent dit « amérique » (dont un grand complotiste, Mel Gibson, l'acteur de Mad Max, tirera le film au nom évocateur Apocalypso)

La diffusion de religion millénaristes et de sectes comme le raélisme, la scientologie, les courants évangélistes et leur soutien au sionisme chrétien réactionnaire se fait à l'appui d'une rhétorique millénariste évoquant la fin du monde. Cette rhétorique entretien des liens très forts avec les mouvements complotistes, liens évidents dans la littérature et le cinémas, exploités, là encore, avec un pseudo « décryptage alternatif de la réalité », défendant en fait une vision extrême droitière du monde et des rapports sociaux. Trump est ainsi complotiste, peut-être est-ce la meilleur illustration de la domination par la peur millénariste.

Néanmoins cette peur de la fin du monde monde s’appuie sur des faits communément admis : disparition des espèces, risques technologiques systémiques, réchauffement climatique, etc.

Mais plutôt que d'être une véritable prise de conscience de type cindynique, les tenants du collapse, de la fin du monde à venir, exploitent et surfent sur ces événement, voir même, au fond, les justifient. Comme un grand nombre de militants d'extrême gauche ont besoin de la domination capitaliste pour se revendiquer révolutionnaires, les collapsologues et militants d'extrême droite ont besoin du risque et des changements sociétaux pour invoquer la fin du monde, la dépravation des mœurs, etc. en somme, ils profitent de la disparition des espèces pour donner valeur à leur fond de commerce.

 

3-La fonction de masque

J'ai vu des vidéos complotistes, je suis étonné de ce qu'elles présentent. Car au fond, ces vidéos s'attachent à des détails pris isoléments dans une situation de catastrophe. Ce qui passe alors au second plan est ce qui est pourtant au premier plan : la catastrophe elle-même. Un avion s'écrase sur le pentagone ? On voit sur un détail qu'il s'agit d'un complot, mais ce qui est caché par cette lecture, c'est la mort des passagers de l'avion et des personnes situés dans le bâtiment. On perçoit l'ombre d'un monstre dans le tsunami sur le Japon ? Mais ce qui passe au second plan, c'est le tsunami lui-même. On voit sur macron les signes que c'est un réptilien ? Mais son discours n'est alors plus du tout analysé.

On voit des signes de la fin du monde dans une grille de lecture collapsologue ? Mais ce qui passe au second plan sont les rapports de domination et d'exploitation dans le capitalisme. La collapsologie a donc surtout une fonction de masque ; comme fonctionne la rumeur et les fake news, son objet est de détourner la peur et de la rendre maîtrisable.

La maîtrise s'exprime ici dans une optique survivaliste, un sentiment de se préparer comme il le faut à la fin du monde, au moins du fait d'en être conscient, au moins par la conscience affirmée d'être prêt au pire.

Mais le pire est déjà là ! Il est déjà arrivé, nous l'avons dépassé. Le pire ? Le capitalisme tel qu'il fonctionne aujourd'hui, rien de pire. La répression du mouvement des gilets jaune ? Rien de pire. La poursuite du glyphosate, de la surpêche, etc. rien de pire. Le pire n'est pas à venir, il est déjà là. La société a dépassé son niveau maximum de contradiction et va encore le dépasser vu comme ça dure, et ceux qui prédisent une crise insupportable du système bancaire oublient dans leur scénario d'imaginer comment elle va être dépassée par le même système qui va la créer par son inconsistance. La crise bancaire de 2008 a été surmonté, dire qu'une nouvelle crise va arriver est une prédiction du même ordre qu'affirmer que demain, il fera jour de nouveau. Ce n'est pas une prédiction, c'est une tautologie ; ce n'est pas une analyse, c'est un défaut d'analyse.

La collapsologie est ainsi une pilule qui aide à faire passer ce qui est réellement insupportable, à savoir les rapports de domination et d'exploitation propre au capitalisme et à l'impérialisme dont l'analyse faite par Lénine (l'impérialisme stade suprême du capitalisme) n'a clairement pas pris une ride – j'invite à y jeter un coup d’œil, c'est très surprenant.

La cindynique est une analyse des risques industriels et des risques en général faite par des professionnels, soutenue par des laboratoires universitaires s'appuyant sur les sciences humaines, sociales et environnementales dont le développement mériterait d'être poursuivi pour ne pas laisser la perception des risques sociaux aux mains des marchands de sable complotistes et haineux.

Car derrière la collapsologie et son pendant survivaliste se cache une vision de l'homme loup pour l'homme, une vision du chacun pour soi qui est une vision proprement ultra-libérale et libertarienne des rapports sociaux. L'homme est dépendant de l'homme, jamais nous ne sommes autonomes et il ne s'agit pas de prendre ici une position Rousseauiste ou contractualiste de la société, une vision de « l'homme naturellement bon » ; il s'agit au fond d'une posture pragmatiste. L'homme n'existe pas sans l'homme, la seule façon de développer l'humanité est donc de permettre à l'humain de développer les interrelations, de réfléchir aux liens d'interdépendance et d'accroître les possibilités réflexives dans l'idée d'un demain possiblement meilleur, toujours à construire, en dehors de tous rapports d'exploitation, à commencer par des rapports sociaux dépourvus de domination dans la production (sphère du travail) et dans la production culturelle (sphère familiale, « associative » et éducative). Cette idée est strictement opposée à la collapsologie.