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La saison en enfer de Rambo

Publié le par Scapildalou

Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie. (Rimbault, Une saison en enfer)

 

1-le crime du caporal Lortie

Le 8 mai 1984, Denis Lortie, alors soldat de l'armée canadienne, entre au parlement du Québec avec une arme, tire, tue trois personnes et en blesse plus d'une dizaine d'autres physiquement. Son objectif était de tuer les parlementaires. A l'heure où il entre en action, la chambre est exceptionnellement quasi-vide, les députés étant majoritairement au café ou dans leurs bureau, pour préparer la séance. Autre hasard, Lortie s'était fixé comme repère lançant le départ de son attaque, une allocution d'un animateur radio, survenue plus tôt ce matin là, limitant ainsi le nombre de cibles au parlement. Lortie qui voulait assassiner les dirigeants du parlement fera trois victimes et près d'une vingtaine de blessés, sans compter les employés du parlement, traumatisés par l'attaque.

Le parlement est entièrement placé sous vidéo, à commencer par la salle des débats où se dirige Lortie, avant de s'asseoir sur le siège du chef du gouvernement. Son attaque est donc entièrement filmée. Ce qui frappe, c'est l'état de délire dans lequel Lortie semble se trouver. Certes son angoisse est visible, mais ce qui est aussi visible, c'est l'absence de rationalité dans laquelle il se trouve (ou plutôt l'autre rationalité dans laquelle il se trouve). Alors qu'il est dans la salle du parlement, survient le responsable de la sécurité, René Jalbert, ancien soldat, ayant participé à rien de moins que la seconde guerre mondiale, la guerre de Corée, et celle d'indochine, avant d'intervenir dans les casques bleus à Chypre. René Jalbert parle à Lortie en soldat, « rentre dans son délire » certainement mieux que ne l'aurait fait beaucoup de professionnels de la psychiatrie. Il désamorce la tension de Lortie – réussi à faire sortir de la salle de la conférence les quelques employés présents. Un policier intervient : Jalbert s'énerve, demande à ce qu'on les laisse entre soldats... et ordonne qu'on lui apporte deux cafés... Il continue de discuter avec Lortie, puis le convainc devenir signer « un acte de reddition » dans son bureau. En quittant la salle du parlement, il se « paye le luxe » de faire prendre ses armes à Lortie, et de lui demander de ne pas oublier son béret militaire...

Le procès qui suivra est particulier, puisque la culpabilité de Lortie ne fait aucun doute. Il s'agira donc moins de juger la culpabilité du soldat que de savoir si son acte était commis dans un état de lucidité et ici, avec préméditation, ou bien s'il était en proie à un délire.

 

2-Denis Lortie

Je sais que présenter la vie de Denis Lortie et ce dont enfant il a été victime peut paraître odieux aux yeux des victimes du meurtre qu'il a commis. Néanmoins, en dépit de la tragédie vécue par elles, je ne cherche pas autre chose qu'à étudier la souffrance de Lortie et ce en quoi elle peut justement expliquer les actes d'autres assassins et peut-être, contribuer à penser les crimes, ce genre de crime, pour mieux les comprendre, et peut-être les éviter. Certes, à mon niveau, on peut douter que je parvienne à changer quoique ce soit, mais je suis persuadé que bien peu de monde puisse faire changer sans difficultés les choses relatives à cette préoccupation. Dès lors, toute analyse, tant qu'elle respecte l'éthique, mérite d'être menée.

Lortie donc, est né dans une famille relativement nombreuse (huit enfants), écrasée par un père tyrannique, violent, incestueux, abusant de tous ses enfants. Une de ses filles aura un enfant de lui. Ajoutons que le père était certainement en proie à des délires, puisqu'il disait visiblement avec raison ne pas se souvenir de certains actes de violence commis à l'encontre de sa famille. D'ailleurs, après une plainte, Lortie père fera quelques années de pénitencier avant de disparaître. En 1984, Lortie ne sait pas si son père est encore en vie. Plus tard, une de ses sœurs tuera son enfant adoptif de 4 ans.

Denis Lortie grandit donc avec une peine terrible et une mère seule à partir de l'âge de dix ans, puis s'engage dans l'armée à l'âge de 17 ans. Il sera apprécié de ses supérieurs et collègues.

Des angoisses sourdent à partir de la naissance de ses enfants. De plus, son aîné est atteins de troubles qui pousseront une orthophoniste à demander s'il est battu. Cette question va faire naître en Lortie des angoisses allant croissantes jusqu'à la crise, lorsqu'il veut demander une permission de 3 jours, que celle-ci est refusée une première fois sans réelle justification, puis acceptée mais avec une certaine restriction. Lortie déclarera alors que son chef, un sergent, prit au moment de ce refus le visage de son père. Le délire incontrôlable entrait là dans une logique qui allait le conduire à commettre un meurtre de masse. Notons au passage que Lortie pensait être tué dès le début de son action, avant d'avoir pu commencer à sévir, ses excuses en avance adressées à ses futures victimes dans une cassette audio, et celles adressées aux personnes que Jalbert fera sortir de la salle du parlement.

 

3-Traité sur le Père

Pierre Legendre, dans ses leçons au sein desquelles il investigue les modalités de « construction de la raison », en questionnant en premier lieu l'occident, se saisira de cette affaire dramatique dans un ouvrage intitulé Le crime du caporal Lortie : Traité sur le Père. C'est au sein de cet ouvrage que l'on trouve l'essentiel des informations détaillées ci-dessus. L'enjeu de ces leçons est de questionner la place de l'interdit et de ce qui est fait des pulsions meurtrières dans nos sociétés (Legendre, 1989, Pp.134-135).

Se basant sur Totem et Tabou de Freud et la mythologie scientifique élaborée par ce dernier, Legendre reprend la grille de lecture de la horde primitive et du meurtre du père. Pour rappel, Freud constate l'universalité du complexe d'oedipe (c'est-à-dire le processus au cours duquel un enfant prend sa place d'humain-enfant dans un premier temps, puis ensuite celle d'humain-parent) et surtout de l'exogamie. Freud continue aussi dans Totem et Tabou à questionner la façon dont se construit la Loi et l'interdit, ces deux éléments autour desquels tout un chacun voit sa personnalité se construire et s'agglomérer, et parfois... se fissurer.

Legendre explique, suivant cette conception, comme le principe de filiation (être enfant de parent puis être parent d'enfant) s'inscrit dans toute société au sein d'une construction mythologique. Les interdits fondamentaux (meurtre, inceste et endogamie), le rejet de la toute puissance et la création en chacun de surmoi n'ont en effet pas de raison intrinsèque, par contre en ces interdits fondamentaux prennent sens ce que l'on nomme le principe de causalité. Sans ces interdits autours desquels prennent sens, dans chaque société, la possibilité de l'altérité, il n'y a point de vie en société (si chacun s'affirme en sa toute puissance, alors fini l'interdit, l'acceptation de l'autre et de l'humain). La construction d'un récit mythologique permet donc d'articuler ces interdits, et d'en fonder de nouveaux : les lois. La Loi, qui réside en partie dans les lois, mais aussi les règles, les coutumes, les usages, formels ou non ne relève donc pas seulement de l'interdit, mais aussi ce qui fonde l'altérité. C'est en ça que la « disruption » par exemple des principes fondamentaux de « l'autorité » par les logiques gestionnaires, le repli des règles sur des logiques financières détruit les possibilités des humains de se construire une image de l'altérité lui permettant d'intégrer l'humanité avec une éthique, c'est-à-dire en s'ouvrant à autrui, à la différence. C'est le cas par exemple, dit

Legendre, du problème posé par les enfants-rois, mais aussi, je rajouterai, la désagrégation de l'autorité des enseignants, des universitaires, des médecins, des journalistes, des avocats, etc. contestés doublement par la logique gestionnaire mais aussi par des usagers-consommateurs évoluant dans un « ici-et-maintenant » favorisé par le consumérisme.

Notons au passage que Legendre s'inscrit explicitement en faux contre l'idéologie gestionnaire et managériale : « une société [n'est pas] un bétail d'individus comptabilisables, mais dans le principe une composition historique de sujets différenciés » (ibid, p.47 ; voir aussi ses Leçons II).

Quoiqu'il en soit, c'est autour de ces interdits fondamentaux que se fonde le principe de raison dit Legendre en reprenant le titre d'un enseignement de Hiedegger, c'est-à-dire « la construction culturelle d'une image fondatrice, grâce à laquelle toute société définit son propre mode de rationalité, c'est-à-dire son attitude devant la question humaine de la causalité. Cette construction produit un certain type d'institutions, une politique de la causalité, dont procède ce montage de l'interdit que nous appelons en occident l’État de Droit. » (Ibid, p.47)

Bon, et maintenant que vous savez ceci, vous n'avez toujours pas de réponse exacte sur le fait de savoir si j'ai fait une faute d'orthographe ou de bon goût dans le titre de cet article, n'est-ce pas ?

 

4-Freud Versus Rambo

En lisant le livre de Legendre, j'ai de suite pensé au film Rambo, sorti en 1982, avec Sylvester Stallone. Notons d'abord ce qu'affirme la fiche wikipedia du film :

« Le nom de Rambo est trouvé par l'auteur après deux anecdotes vécues par celui-ci. À l'époque où il était professeur et qu'il voulait rédiger ce roman, David Morrell lisait beaucoup les œuvres d’Arthur Rimbaud, que beaucoup de personnes, dont ses élèves, prononçaient « Rambaud ». Ensuite, sa femme lui fit goûter une pomme qu'il trouva délicieuse. Il lui demanda quelle variété de pomme c'était, et sa femme lui répondit : « Rambo » (il s'agit en fait de la variété Rambour). Il venait de trouver le nom de son personnage principal » 

Bon, passons (pas la peine de me remercier pour la leçon de culture G, c'est gratuit)

Pourquoi ai-je pensé à Rambo ? Parce qu'à la lecture du livre de Legendre, un certain nombre de points communs entre le scénario du film et le crime du caporal Lortie m'ont sauté aux yeux.

En premier lieu, l'intervention du sergent Jalbert. Pourquoi ? Il faut que je vous raconte Rambo. Et après avoir revu le film, je me suis rendu compte que les deux histoires allaient de pair.

John Rambo est un ancien militaire ayant servit dans les forces spéciales au Vietnam, devenu vagabond dans une société n'accordant pas de place à ses anciens combattants. Le film s'ouvre sur une scène où John Rambo se rend dans une maison, au bord d'un lac, afin de rencontrer un des amis avec qui il a servi lors de la guerre. Il rencontre la femme de celui-ci. Cette dernière, le visage fermée, lui annonce le décès récent de son ancien mari, tué d'un cancer long et douloureux causé par l'agent orange. Sur une photo qu'à sortie Rambo de sa poche où l'on voit son ancienne unité, on comprend qu'il est seul survivant.

Stoppons un instant. Il y a déjà un élément oedipien ici. L'ami de Rambo est mort... tué par ses propres frères, par l'armée, une institution qui place au plus haut point la Loi, comme l'avait déjà analysé Freud en son temps. Cette armée, qui devenue un instant tyrannique pour Lortie, allait le précipiter dans le délire (pour rappel, le sergent qui refuse sa permission alors que Lortie se sent être en proie à de violentes angoisse et ressent le besoin de parler à sa femme, adopte le visage du père de Lortie, de la bouche même de celui-ci, évoqués lors de son procès)

Le père à tué le fils, acte 1.

La suite dans un autre article...

 

 

 

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F
Intéressant, cet article qui met en lien réalité / fiction - ( disons toujours inventée en lien +ou- moins avérée avec la réalité),sciences /philosophie/politique. De l'humanité. <br /> J'attends la suite avec impatience.... (Je suppose quand le fils tue le père? Et quand, sous la couverture d'un gilet jaune on tente de tuer les fondements de notre société autoritaire, injuste, violente violeuse de notre intimité et tout et tout....?) Merci pour tes apports remue-méninges.
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