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De la méthodologie (4/2) : la réflexivité

Publié le par Scapildalou

Je rappelle que le but de l'ensemble de ces textes est d'évoquer du mieux possible quels sont les éléments avec lesquels j'examine la réalité telle qu'elle se pose à moi, afin d'en tirer parti pour accroître mes capacités d'analyse. Cependant, jusqu'à présent, dans cette seconde partie, j'ai seulement évoqué les perspectives d'analyse et non les exercices auxquels je me livre pour partir de ce que je perçoit en vue de créer des modèles d'analyse répondant aux objectifs que je viens de citer. Et bien je vais entrer dans les détails de cette dernière préoccupation à présent en évoquant la réflexivité.

Je vais donc rompre avec la considération à proprement parler, c'est-à-dire ce qui va avec ma vision du monde (con-sidération) pour entrer dans le détail de ce que l'on pourrait nommer les exercices de regard.

Dans l'allégorie qui a présidé à ce texte, la réflexivité est apparue lorsque j'ai évoqué le troquet à l'entrée de la rue de la douleur. Ce troquet, pour rappel, propose aux rares passants remontant cette rue un exercice : face à une œuvre, il faut pour le passant qui se livre à cette activité, reproduire ce qui lui a semblé être l'essence de cette œuvre. Autre chose : d'une part le chaland peut se nourrir de plats qui sont les mêmes mais peuvent être de meilleur facture selon l'argent qu'il y met et surtout, sa réalisation, ce qu'il aura produit en décrivant l'oeuvre qu'on lui présente, sera jugée par un jury qui, peut-être, lui dit-on, élira ses réalisations. Or rien de tout cela n'est vrai.

L'oeuvre qui est présenté au chaland est une image de lui, renvoyée par un miroir déformant mais les consignes sont telles que le client n'en sait rien. Il doit donc discourir sur ce que lui renvoie sa propre image sans le savoir, c'est-à-dire discuter de lui sans en avoir conscience. Le plat n'est jamais de meilleur facture même si le client mets d'avantage d'argent or les clients qui paient chère ont pourtant l'impression de manger quelque chose de meilleur qualité – ils sont trompés par leur sens et l'image qu'ils se font de la situation. Enfin, il n'y a probablement point de jury, le client est donc perdant d'un concours qui n'a pas lieu, et n'aura jamais lieu.

Il s'agit ici d'une allégorie de la réflexivité. Qu'est-ce que la réflexivité ? Je me suis rendu compte récemment que je n'étais pas en mesure de la définir simplement et ce texte vise en premier lieu à me sortir de là avec une réelle définition de la réflexivité, une conceptualisation simplifiée et abordable. En gros, ce texte à pour point central la réflexivité, et il est lui-même un espace de réflexivité.

La réflexion est au sens littéral du terme une flexion en retour, un feedback, un retour, le renvoie d'une chose vers un autre endroit. Partant de là, nous sommes perdu : « réfléchir », au sens de penser sur soi serait un faux ami ? Pourtant non, penser sur soi, c'est utiliser une surface de réflexion pour s'envisager autrement. Nous venons d'évoquer deux éléments importants.

Le premier est que toute réflexion nécessite une surface. Penser sur soi, c'est utiliser le langage comme surface de réflexion. À travers le langage internalisé (la pensée est du langage internalisé qui n'est pas à proprement parler du langage, je vais revenir de suite sur ce point), il est possible de se prendre soi comme objet de penser, d'avoir une pensée sur soi, de se penser comme étant digne d'être objet de pensée.

Qu'est-ce que le langage ? Le langage est un système symbolique reposant sur l'articulation de « signes-signifiants », c'est-à-dire ayant une signification relative à d'autres signes. Tout langage repose sur une grammaire, c'est-à-dire des conventions sociales sur la façon dont ces signes doivent être articulés, notamment les rituels qui président à ces articulations, en fonction d'organisations plus ou moins générales. Le langage est double ; il est d'abord appris par le petit d'homme comme objet de relation puis il est internalisé. Assez tard, l'enfant se rend compte que le langage n'est pas uniquement un objet de relation vers l’extérieur mais qu'il peut-être tue, qu'il peut devenir objet interne à soi, que l'on peut manier la langue sans ouvrir la bouche. C'est la pensée. Mais la pensée n'est pas du langage car ses modalités d'utilisation, en interne, change radicalement son utilisation d'une part et d'autre part, en étant internalisé, il devient intime. Imaginons qu'autrui ait accès à nos pensées, dans ce cas le langage intime deviendrait extime, collectif, et donc nos pensées seraient accessible au reste. Pour être rapide, ce serait l'horreur pour tout un chacun. Cette crainte n'est pas identique à la crainte de parler, même si nous avons souvent peur en parlant de « trahir nos pensées ». La pensée, c'est une modalité d'utilisation du langage, mais ce n'est pas exactement du langage, c'est de l'intime.

La pensée est le lieu de rencontre entre le langage et l'inconscient. À vrai dire, la majeur partie de ce qui nous constitue est de l'ordre de l'inconscient et les rares brides de cet inconscient qui n ous parvient est traduit sous forme de langage, c'est-à-dire objectivé, comme nous l'avons dit précédemment sous une forme relativement rationnelle qui est le langage. Le langage est le socle de l'objectivation. Toutefois, en filtrant l'inconscient par le biais d'un ensemble de règles et de conventions qui ne nous appartiennent pas entièrement, nous perdons de fait accès à ce qui compose notre inconscient. Nous sommes donc incapables de savoir de quoi nous sommes composés, nous ne sommes pas réellement fini et disposons, en moins en théorie, de moins de capacités d'être entier que les animaux puisqu'eux n'ont pas de problème lié au filtre du langage. L'animalité, en étant dans la pleine inconscience est aussi, au final, dans la pleine conscience. Et les discours vantant la « pleine conscience » deviennent ainsi un synonyme de « pleine animalité ». La conscience ne peut être pleine, sauf chez ceux qui ont ce que les psychanalystes nomment « l'inconscient à l'air libre », c'est-à-dire les grands psychotiques. Et le laisser-faire de leurs pulsions les conduisent notamment à détruire les autres. La pleine conscience, au sens littéral, c'est le meurtre. Ça valait le coup d'être dit.

Réfléchir, c'est au sens littéral « tordre la pensée sur une surface créé par des failles », ces failles sont créées par le réel, à savoir l'introduction du doute, l'incompréhension, etc. La rêverie est une façon d'introduire du doute là où il n'y en a pas en mettant en image, c'est-à-dire en « imaginant » d'autres possibles. Nous sommes donc sans cesse en train de réfléchir, pensée et réflexion sont consubstantiels ; la réflexion est un moment de la pensée au cours duquel une faille est suffisamment importante pour renvoyer une image déformante de ce qui a été projeté par soi vis à vis de la réalité. Car la réalité n'est pas l'appréhension du monde externe, il est la projection du monde interne sur ce qui est ciblé comme étant l'en dehors du soi. Lorsque nous réfléchissons, nous tordons donc la réalité, nous tordons le monde interne.

La réflexivité est donc l'art de créer des dispositifs permettant de renvoyer une image différente de ce que nous croyons être la réalité. La réflexivité, en ce sens, est l'art de mettre en place des dispositifs suscitant des failles, des écarts entre ce que l'on croit être et ce qui nous est effectivement. Il s'agit de prendre conscience que le monde ne nous appartient pas car nous cassons, dans la réflexivité, les liens ou alors à défaut de les casser nous mettons à mal les liens entre nous et les objets, liens que nous avons définit comme étant le fondement de la propriété [des choses].

Mieux, il est possible de garder la définition suivante de la réflexivité : elle est l'art de mettre en place des dispositifs permettant à des entités singulières ou collectives d'élaborer un discours au sein duquel elle est, de façon consciente ou non, son propre sujet. Il s'agit de discours ayant pour objet la mise à distance critique de soi afin, dans un cadre éthique, de favoriser le développement des entités questionnées sur un ou plusieurs pans à la fois pratiques, moraux, identitaires, ontologiques et épistémiques.

Il s'agit d'un stade ultérieur du stade du miroir, une permanence de ce stade, consistant à apprendre en continue la forme que revêt notre apparence mais lorsqu'elle se reflète sur d'autres surfaces que des miroirs. La personne placée en situation de réflexivité est l'équivalente d'un bébé se découvrant dans un miroir, jouant avec son image, avec son reflet.

Quelles peuvent être les failles, comment les créer, créer des décalages pour accroître les possibilités de réflexion ? Une première chose est la controverse. La différence, en soi, est un élément majeur ; s'exposer à la différence et la mettre en récit, la rationaliser par le biais du langage, en essayant de la faire coller à une logique, c'est un premier pas. En envoyant une image différente de l'attendu, le réel, le doute, l'inconnu ou l'incongrue devient le moteur de l'élaboration, c'est-à-dire de la mise au travail de la pensée. C'est d'ailleurs un mécanisme d'apprentissage, mis en exergue par Doise, Mugny et Perret-Clermont, tous formés à l'école Piagetienne mais qui voulurent faire la synthèse entre la pensée de leur maître et celle de Vygotsky.

Une autre méthode de réflexivité est le renvoie. Nous l'avons dit plus haute, tout objet est pris dans un système d'objet ; toute image de quelque chose, quand bien même il s'agit de chose ou d'objets immatériaux (l'honneur, le courage, la honte, l'espoir, l'amitié, etc.), renvoie à d'autres images. Il y a donc une relativité au sens restreint du terme, c'est-à-dire que tout existe relativement à un panel de choses existantes. Pour certains types de relations duales nous verrons plus loin dans les thémâta de quoi il en retourne mais ça, c'est pour un prochain texte.

Deux systèmes en apparence similaires peuvent être renvoyés l'un à l'autre, et le meilleur exemple, c'est de se mettre soi face à un miroir. Tout dépend de ce en quoi ce miroir consiste mais l'image de soi telle qu'elle est renvoyée par les autres est fondamentale en ce qu'elle nous apporte des décalages entre ce que nous pensons être et ce que nous sommes effectivement dan la réalité telle qu'elle est composé par l'apport des autrui. Il s'agit alors de créer un décalage entre l'image que nous avons de nous et l'image nouvelle que nous pouvons nous faire de nous.

Le renvoie (faire de la similarité entre les différences, quitte à changer d'angle de vue), la controverse ou le débat sur la contre-normativité (partir de la similarité pour aller vers la différence) sont les deux principales méthodes réflexives.

La pratique, la création des décalages peut se faire en favorisant l'élaboration de récits par le biais de techniques de type photolangage, rédaction de textes, confrontation, auto-confrontation, débats, vidéoscopie, etc.

Il s'agit pour les personnes de se voir à travers le regard des autres, quitte à ce que ces autres soient aussi soi (comment je me voie, comment je me suis vue, etc.)

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