Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La vérité sans vérité

Publié le par Scapildalou

J'ai entendu hier sur France Culture une interview de Pascal Engel qui m'a fortement intéressé. L'auteur vient de publier Les Vices du savoir. Essai d’éthique intellectuelle ; forcément, la lectrice ou le lecteur patenté de ce blog comprend de suite pourquoi j'ai écouté avec attention. Autant le dire tout de suite, il n'y a pas beaucoup de points sur lesquels Engel et moi sommes d'accord, mais son interview permets de faire quelques remarques intéressantes.

Premièrement, Engel critique la perspective développée par Bruno Latour selon lequel les théories scientifiques sont des faits sociaux. Là aussi je vais être direct ; j'ai du mal avec Latour pour quelques raisons qui valent d'être mentionnées. Premièrement, ses écrits me sont d'accès difficile, ça n'aide pas. Deuxièmement, j'aime des auteurs comme Heidegger, Lévinas ou Bubber parce qu'ils essaient d'éviter la polémique et écrivent pour détailler leur cheminement. S'ils prennent position contre des théories et leurs auteurs, c'est toujours en mettant les formes et en évitant la polémique. Ça repose ; Latour, au contraire, a un style polémique évident qui nuit à la façon dont je reçois ses réflexions. C'est ma façon d'être, je ne revendique pas qu'il s'adapte, au contraire, mais je constate, c'est tout. Par contre, du peu que je connaît Latour, et surtout de ce que j'entends des critiques (fort nombreuses) qui lui sont adressées, je dois le reconnaître, de deux choses l'une :

-1 : je ne trouve pas, personnellement, de critique à adresser aux apports de Latour

-2 : l'essentiel des critiques qui lui sont adressées ne me semblent pas recevables. Et ceux qui le taxent de relativisme ont a priori encore moins bien compris ses livres que moi.

Lorsque Latour appréhende les théories scientifiques comme étant des faits sociaux, je me demande comment il est possible de ne pas être d'accord avec lui. Les articles universitaires de plus en plus nombreux s'attachant à étudier les logiques de parution d'articles scientifiques (le fameux impact factor sur lequel les auteurs d'articles ont les yeux rivés par exemple) montrent en quoi la science est elle aussi, comme toute institution, un fait social.

J'aime bien un auteur comme Fayeraband aussi ; lui, tenant d'un courant nommé par ses soins 'Anarchisme épistémologique' montre que les peuples anciens avaient eux aussi des pensées scientifiques qui leur étaient propres et dont on ne peut dénier la réalité sauf à faire de l'européano-centrisme. Par exemple le Sismoscope de Zhang Heng créé dans les années 100 de notre ère a un fonctionnement qui n'est toujours pas expliqué. On ne sait toujours pas comment étaient construites les pyramides et les mesures de monuments comme Stonedge fait aussi état de calculs très précis et d'une maîtrise de la science des astres... alors que la société d'alors l'ayant érigé ne possédait ni écriture, ni système de comptabilité similaire au notre. C'est donc au moins que toute société possède sa science, possède des systèmes de pensée appréhendant l'univers à l'aide de pensée logique toujours valable et les qualifier de non scientifique, c'est dénier à ces peuples leurs spécificité. Que tous ces calculs, machines etc. aient été liées à un certain degré d'ésotérisme ne chance rien à l'affaire : le fait que notre science ne permet toujours pas d'expliquer la leur est en soi une invitation à l'humilité.

Pour Engel, il y a donc une vérité et cette vérité est intangible et universelle, non contradictoire, et se confond à certain moments avec le vrai. Or justement, la vérité, à mon sens, souffre de multiples contradictions : deux « vérités » diamétralement opposées peuvent coexister, alors que la logique depuis Leibniz y verrait une impossibilité. Un exemple ? Je regardais l'autre jour un reportage sur l'ascension du Mont Blanc par une équipe au sein de laquelle se trouvait Etienne Klein. Celui-ci se fend à un moment d'un apport intéressant alors que sa cordée quitte un refuge de bon matin. Il y a un paradoxe, explique-t-il, qui consiste à ce que la nuit soit noire. De fait, le nombre d'étoiles est tellement élevé que la nuit devrait être presque aussi lumineuse que le jour, sauf que la lueur proviendrait es étoiles. La nuit, partout où l'on regarde, il y a donc des étoiles qui illuminent, et pourtant, le fait que l'univers soit en expansion fait qu'on ne peut les voire. Se superpose donc deux vérités : partout dans le ciel il y a des étoiles, mais nous ne voyons pas que partout dans le ciel il y a des étoiles ce qui fait qu'il est une autre vérité de dire qu'il n'y a pas d'étoiles partout dans le ciel. Le tout est de savoir à quel niveau l'affirmation « partout le ciel est illuminé d'étoiles » ou « il n'y a pas d'étoiles partout dans le ciel » se place : du point de vue de la perception que l'on en a ou du point de vue de la physique. La question est donc celle de la nature du discours.

Cet exemple n'est pas unique : ce que dit la médecine par exemple est tenue pour une vérité vraie mais les progrès de la médecine montrent qu'elle est tout sauf une science exacte.

Autre point, le plus intéressant peut-être : Engel a donc une définition de la vérité, cette vérité vraie en tout lieux universelle – il la donne dans l'émission. Je ne suis bien entendu pas d'accord avec, c'est bien le moins, mais ce n'est pas là le plus intéressant. Le plus intéressant, c'est que les autres auteurs qui pensent comme Engel qu'existe une vérité vrai... ne sont pas d'accord sur la définition à donner à la vérité. En d'autres termes, la seule vérité dont je fais l'expérience en les écoutant est qu'il n'existe qu'une seule vérité, c'est celle de leurs désaccord sur la définition et les moyens d'accès à ce qu'ils nomment la vérité. Il n'y a donc, de ce qu'ils me montrent, de vérité que dans leurs désaccords et les débats forts intéressants qui en résultent. Au fond, on arrive à ce résultat que leur vérité résulte non pas d'une vérité intangible qui serait accessible mais d'une quête personnelle, d'un processus idiosyncrasique, et non universel.

D'autre part, notons deux choses supplémentaires :

Si l'accès, à la vérité se fait par le biais de la preuve scientifique, notons que la preuve ne sert justement que de jalons dans la démarche scientifique pour rendre communicable une découverte, mais que cette preuve servira dans le futur d'élément de réfutation. La preuve ne sert donc qu'à favoriser son propre dépassement. Mais la preuve ne fait pas tout ; croire sans preuve est la chose du faible laisse entendre Engel, or moi, je n'hésite pas à croire sans preuve. Je reviens à l'exemple d'Etienne Klein cité plus haut : je ne demande pas de preuve pour le croire. Au contraire même, lorsque j'assiste à des conférences faites par des universitaires, je n'attends pas nécessairement de preuves de ce qu'ils me disent ; je croit bien volontiers leurs théories et déduction. Ai-je besoin de preuve pour le peu que je comprend de la théorie de la relativité d'Einstein ? Ai-je besoin de preuve qu'un gaz explose dans certaines conditions ? Etc.

Nietzsche (ou Deleuze lisant Nietzsche, ce qui n'est pas exactement la même chose) arrivait à la conclusion que « la preuve, c'est la force du faible ». On n'a à prouver que lorsque la confiance de l'interlocuteur en une expertise n'est pas fondée. Le besoin de croire en allant chercher des preuves preuves à l'heure de la complexité ultime, c'est justement le crédo des complotistes – et eux justement sont experts dans l'art de créer des preuves laissant place à la fois à la contradiction et à la complexification par un brin de réfutation. En d'autres termes, leur façon de plagier la démarche scientifique plaide justement pour ne pas faire attention seulement à la preuve.

Dernière chose, personne ne pense jamais le faux, on croit toujours penser le vrai et avoir accès, tout un chacun, à une part de vérité. Le faux est décrété comme étant faux par ceux qui font la vérité ; et lorsque l'on se rend compte que l'on a faux sur un point, ce n'est pas nécessairement que l'on accède à la vérité, mais que l'on fait preuve d'humilité. Le faux et la vérité sont donc des actes de langages, et dénier dans ces actes la question du pouvoir est un non-sens.

 

 

 

Commenter cet article