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Consommes ce qu'on te donne ? (« le crois-gammé »)

Publié le par Scapildalou

L'idée de ce texte née d'une fatigue d'entendre que « les gens » sont coupables de consommer, où bien consomment ce qu'ils aiment sans réfléchir. Par exemple, on se rappellera de l'émergence de la télé-réalité sous forme de « big-brother », critiquée fortement par les biens pensants, quoi face au succès de ces émissions (odieuses sur le principe, je ne remets pas ça en question), auxquels répondaient les producteurs « oui, mais les gens regardent, c'est qu'ils aiment, non ? » légitimant ainsi la diffusion de ces émissions.

C'est cet argument que ce texte vise à démonter. Et comme d'habitude, en quelques lignes seulement, c'est impossible, parce que d'une part la complexité n'est jamais loin (et on se méfiera des explication trop simples) et d'autres part, parce que cet argument, « les gens consomment ce qu'on leur donne, c'est qu'ils aiment au fond », est très bien ancré.

 

Partie I : le mode de pression idéologique

 

1-l'idéologie autre

On sait le lien entre les émissions débiles et « le temps de cerveau disponible » pour la publicité. Il ne faut pas oublier que la publicité s'inspire et se fonde sur des principes et préoccupations proches de celles de la propagande. Au fond, ce sont exactement les mêmes processus et préoccupations qui sont à l'oeuvre dans la propagande et la publicité, sauf que la publicité n'est en son fondement pas totalitaire – en principe. Autrement dit, toute publicité n'a pas vocation à créer et maintenir un ordre idéologique. Par exemple, dans le journal municipal, je trouve la publicité de certains restaurants de ma commune, lorsque je roule, je voie une publicité pour un artisan, un marchand de pommes, etc. Ces acteurs, lorsqu'ils décident de mettre en place cette publicité, réalisent une annonce publique certainement dénuée de visées idéologique. Donc toute publicité n'a pas une visée totalisante. Maintenant, ce type de publicité n'est pas celui auquel nous sommes le plus exposé. L'essentiel des messages publicitaires touchent au corps, au principe de plaisir, aux modes relationnels et rapports à l'Autre autant qu'à l'autre. Ce sont là trois ou quatre des piliers sur lesquels se construisent une société :

-l'apprentissage du poids de la société VS l'individuation

-apprendre à être dans son corps VS le développement de l'esprit

-le plaisir VS la culpabilité

-les autres comme soi VS soi différent des autres

-le connaître VS le « su » (ce qui est « su naturellement » : le bleu c'est bleu par exemple, tout le monde le sait ! -sauf que dans certaines sociétés, le vert et le bleu sont une même couleur...)

-la maîtrise VS la faiblesse synonyme de la soumission

Tous ces points sont d'une manière ou d'une autre liés entre eux. On pourrait en rajouter, mais l'essentiel y est, tout message publicitaire rentre dans au moins l'un de ces points. Une pub décathlon avec des randonneurs dans le soleil levant/couchant en montagne ? Qu'on les regarde, ils sourient (plaisir), sont en couple et entre amis/famille (rapport au monde et à la filiation) sont sportifs (rapport au corps), dans le calme et la sérénité (maîtrise).

Une pub pour une pizza ? On y trouve au moins le plaisir et la simplicité, le rapport à l’esthétique (dont à l'éthique), au bon, au doux, etc.

Un parfum ou un savon ? Rapport au corps, au désir, aux autres, à la force et la maîtrise.

Une compagnie aérienne vente la liberté (rapport à la maîtrise VS la faiblesse synonyme de la soumission, suggestion de l'individuation)

etc.

 

2-le poids de l'idéologie

Qu'on ne se trompe pas, la publicité n'est pas issue de rien : son financement est issue du prix de vente des produits. Lorsque l'on achète un produit, on finance donc une part de messages à portée idéologique qui vont faire que l'on consomme en particulier ce produit. Ça, même les régimes totalitaires n'avaient pas trouvé un moyen d'auto-asservissement aussi bien rodé.

La publicité n'est don pas gratuite, c'est une part de vente du prix des produits visant à protéger la position de la classe dominante qui est extorquée à la force de travail des travailleurs.

Chaque année, dans le monde, l'équivalent du PIB de la france est diffusée en publicité. La france, c'est 1% du PIB mondial et de la population. Imaginez si tout le monde, votre voisin, les pensionnaires des maisons de retraites, vos enfants, votre boulanger, votre médecin, etc. n'avaient qu'une seule vocation : mettre en place des messages publicitaires. Car c'est bien l'équivalent de la 5ème puissance mondiale qui est mis dans la création de messages publicitaires visant à soutenir la consommation chaque année.

Pour comparaison, la propagande américaine entre 1945 et 1992 à destination des pays de l'est visant à faire chuter les régimes socialistes est là aussi équivalent au PIB de la france... mais la somme est cette fois étalée sur plus de 40 ans ! Chaque année dans le monde, l'équivalent de ce que les USA ont mis dans la balance en termes de propagande pour faire chuter l'URSS est diffusée en publicité dans le monde. Un quart de cette somme totale, suffirait largement à éradiquer la faim dans le monde...

 

3-la (dé-)pression idéologique

Par conséquent, lorsque j'entends des grands penseurs se demander comment les gens acceptent la domination et le monde tel qu'il est, je répond « ils ne l'acceptent pas, ou alors seulement parce que de sacré moyens sont mis derrière pour les faire accepter ». Qu'on me donne autant de moyens, et dans quelques années, la solidarité et l'entraide seront aussi bien acceptés que le naufrage d'un pétrolier, la destruction de la forêt amazonienne et les dictatures africaines pourvu que je puisse conduire la dernière berline allemande...

Il faut en effet des trésors d'ingéniosité aux publicitaires pour qu'ils continuent à nous faire consommer. Campagnes de pubs, événements sportifs mondiaux, achats de votes dans les instances gouvernementales, transformation de la science... Transformation de la science ?

Le dentifrice ? Aucune preuve scientifique de son efficacité. Les céréales au petit déjeuner sont bon pour le développement de votre enfant ? La science tendrait à prouver l'inverse. Vous croyez que vous allez lutter contre vos boutons avec le dernier savon d'un laboratoire quelconque ? On en reparlera...

Et puis on le voit, TF1 et M6 qui ont le plus surfé sur la vague de la télé-réalité, sont aussi ceux qui ont le plus souffert des nouveaux modes de relation aux images (développement des chaînes internet et de la TNT). Peut-être que les gens ne voulaient pas seulement voir de la télé-réalité finalement... Donc non, les gens ne valident pas si facilement le système, et il est dur de le leur faire accepter ne serait-ce que temporairement.

 

Partie II : le mode d'extorsion et de domination

 

4-L'anti-démocratie pour la production

On parle souvent de libre entreprise, mais cette expression cache, comme les vêtement cachent l'interdit, un impossible : la liberté des travailleurs. Si on parle de libre entreprise, c'est bien pour marquer que l'entrepreneur doit sa liberté à l'extorsion de la force de travail du travailleur qui lui est subordonné (via le contrat de travail) et n'a pas le droit mais le devoir de se taire. La liberté d'entreprendre, la liberté en général, se fait sur le silence du travailleur et sa subordination et son acceptation des presque inconditionnelle des règles de l'entrepreneur – et le passage sous silence de l'intelligence que met en œuvre le travailleur (et pas le patron, qui lui ne connaît rien du geste de travail nécessaire à la réalisation efficiente de la production) pour que fonctionne l'entreprise.

 

5-la liberté de produit

Paradoxalement, la société libre se construit donc sur le silence des travailleur et la seule liberté est celle de choix hors du travail. Je l'ai dit ailleurs sur ce blog, liberté est entendu dans notre société comme une liberté de choix seulement, or on ne sait jamais au fond quels sont les déterminants de nos choix. C'est paradoxale, car on se serait attendu qu'une société libre soit une société de liberté d'expression, une expression en tous lieux, à commencer par là où se construit l'humain, c'est-à-dire dans le lieux où l'humain construit la culture : dans l'entreprise.

Mais non, c'est l'inverse qui est tenu pour vrai.

Le psychologue suisse déjà cité sur ce blog Ernst Boesch, définissait la Culture (le 'C' majuscule est important) comme un ensemble de possible. Toutefois, le produit qui est celui que l'on « consomme » n'est pas décidé par le travailleur, il est façonné par lui certes, mais sa forme et son utilisation est décidée par le capitaliste, le propriétaire des moyens de production. Le produit est la marque et la légitimité du capitaliste, il est l'ombre de celui qui décide dans l'entreprise. Sa présence est la preuve, non celle, autre paradoxe, du décideur, mais celle de l'opérateur, du travailleur. C'est seulement par lui que la présence du produit est rendue possible. Un produit, une marchandise, c'est le résultat du silence de l'ouvrier, et de son geste de travail comme monologue silencieux, un cri placé dans ses mains, dans ses gestes. Au fond, le travailleur n'est jamais asservie, il hurle sa liberté dans ses mains, en silence.

La culture se perpétue ainsi, dans la société industrielle, en l'absence de celui qui la produit. Le travailleur n'est pas légitime dans la production, il n'est pas souverain dans la façon dont se construit la société, dont se dépense sa force. Le peuple souverain ? Une fable...

 

6-La restriction des possibles

Alors que la démocratie est souvent définie comme un système devant définir des possibles, il faut bien admettre que le capitalisme est une façon de les restreindre. Le seul choix, le choix souverain ne réside alors en rien dans la conception, mais dans l'usage des conçus : la consommation. La liberté devient celle de consommer, le choix est le choix qui est celui des supermarchés. L'ensemble des possibles fournis par la société est alors très restreint, surtout si l'on se fie aux rayons des magasins, ne laissant pas de possibles sur la façon de se laver, mais juste sur les produits pour prendre une douche.

Dès lors que le cadis est définit comme un « bulletin de vote », on touche le fond du fond. Le cadis n'est pas un bulletin de vote, il est l'essence même de l'impossibilité du choix, du flêchage de celui-ci contre l'expression des travailleurs.

 

7-La question

Je l'ai dit, encore une fois, ailleurs sur ce blog : l'idéologie n'est pas tant une réponse qu'une façon de poser les questions, de les induire.

Le vote, le choix, ne concernent jamais une large gamme de possible mais juste un ensemble restreint. Laisser le choix est moins important que de soutenir l'émergence d'une question ; le décideur n'est plus décideur s'il fait émerger les questions plutôt que les réponses. Les gens ne consomment donc pas ce qu'ils souhaitent, ne regardent pas les émissions qu'ils aiment, mais bien une gamme restreinte (un « choix-gammé », ou un « crois-gammé »). Car tout réside dans le fait qu'il faut faire croire que tout autre possibilité est impossible, voire inhumaine.

La consommation permets d'associer le choix et la valeur de celui qui le fait. Voire même la valeur de la personne ne réside plus que dans les choix, comme s'il était sujet auto-engendré (Pierre Legendre) ou autonome (cf. les articles critiques de l'autonomie sur ce blog).

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