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Ce qui est fait science (4) les critères de scientificité mis à mal

Publié le par Scapildalou

Nous avons au travers des derniers textes vu 1-une définition de la science et sa visée 2-l'importance de la critique pour faire avancer le savoir 3-réalisé une critique justement de la façon dont les sciences humaines aujourd'hui nient l'humain (à travers l'exemple de la psychologie sociale du travail). Je souhaiterai conclure cette série d'article par une réflexion sur les critères de scientificité. Pour longtemps encore, on apprendra aux étudiants les 4 critères de scientificité suivant : fait science :

1-une recherche qui est reproductible

2-elle doit l'être par des expériences (travaux) dont les variables sont contrôlables, mesurables et quantifiables

3-une théorie falsifiable/réfutable

4-qui sera communiquée au monde

Nous avons vu que le point 2 est déjà loin d'être acquis dans les sciences en général, dans les sciences humaines en particulier.

La reproductibilité d'une expérience comme critère fondamental est aussi désormais remis en cause. Les sciences physiques par exemple sont a ce point poussées, dépendante d'instruments coûteux et complexes, que leurs résultats ne sont pas reproductibles. Et ce n'est pas si grave de toute façon : si je me base sur l'observation que j'ai fait d'un événement unique au sein d'un groupe social, cette observation ne sera guère reproductible. De fait la question de la reproductibilité cède le pas, et cela l'a toujours été au fond, à la question de la plausibilité des évidences avancées par l'auteur. Les recherches expérimentales de Kurt Lewin, Elton Mayo, Stanley Milgram, Salomon Asch, Rosenthal et Jakobson etc. ont été largement « truquées » pour faire simple. Non... « l'effet pygmalion » n'a jamais été démontré tel qu'il est enseigné pourtant depuis 50 ans. Et on le tient pour vrai. Les exemples en psychologie sociale sont légion et, vu les tôliers actuels, les trucages ne sont pas loin de cesser. Un problèmes pour confirmer une corrélation entre deux variables ? Hop ! On supprime des individus, et le Khi² est à point (01) pour être servi dans une revue en langue anglaise [il y a un jeu de mot pour statisticiens dans la phrase, ne cherchez pas si vous ne le comprenez pas...]

Dur à croire ? Et pourtant...

Au fond, les sciences humaines calquées sur le modèle expérimental offrent peu sinon moins même de garanties dans leurs résultats. Le plus étonnant est qu'ils soient quand même reproduits ailleurs. Je pourrai citer des exemples, un mérite que l'on s'y attache.

J'enseignais dans un cours de première année de psychologie (introduction à la psychologie sociale) par ailleurs fort rébarbatif au point de se demander s'il n'avait pas été conçu pour dissuader les étudiants de continuer. Dans ce TD donc, nous avions, chaque enseignant, à réaliser une expérience aux étudiants sur la formation de l'impression si je me souviens bien. Or le guide que nous devions scrupuleusement suivre (sous peine d'humiliation publique par le responsable d'UE – un coup à vous faire passer un poste d'ATER sous le nez, ce qui n'est pas rien, quand on n'a pas un rond !) était peu clair, l'expérience non plus... Dur. Dur parce que si on se plante le poste d'ATER peu filer comme une carpe dans le courant. Je fais donc mon expérience, les étudiants me démontrent sans trop de difficulté que les résultats ne vont pas réellement dans le sens de mes explications. Quoique ce fut l'heure de la sieste, au prix d'une cabriole, un véritable salto-triple-loops-piqué intellectuel, j'improvisais une explication plausible sortie de derrière les fagots. Les étudiants bouche bée avaient la révélation. « vous voulez dire que... » « oui, bien entendu, vous avez tout compris ! »

alors que moi-même je ne comprenais rien. Mais ils étaient étonnés, sinon contents. Soit. Je recommence ce cour de suite avec un autre groupe, je trouve les mêmes résultats : je risque la même explication, devance les contradiction en utilisant les contre-arguments du TD précédent (« vous allez me dire que ça ne tient pas, mais regardez... »). Un nouveau succès.

A la pause, je tombe sur le responsable d'UE. Fier de moi, je lui dit que non sans mal, l'expérience fonctionne, mais que quand même, j'aimerai bien en savoir un peu plus...

« Laisse tomber », me répond-t-il « cette expérience n'a jamais fonctionné de toute façon. Essaie de faire comme tu peux. »

Voilà.

Le plus marrant est que j'en ai discuté avec d'autres thésards qui dans leurs coin éprouvaient les mêmes difficultés. Tous, nous trouvions des résultats différents les uns des autres (en général totalement différents entre nos groupe, MAIS nous résultats dans NOS groupes étaient toujours les mêmes. De toute façon, tout le monde improvisait des explications.

C'est ça la science.

 

Le critère de réfutabilité ne tient pas non plus. Par exemple, cela reviendrait à exclure les études cliniques du champs de la science (psychanalyse en tête – c'est d'ailleurs le but). En d'autres termes, toute expérience qui ne se base que sur l'hérméneutique (c'est-à-dire qui nécessite l'art de l'interprétation des processus autrement que par l'étayage de résultats chiffrés) devrait être exclu de l'université.

Or, je l'ai dit dans les précédents articles : même les études de sciences humaines (par exemple en termes de léxicologie) nécessite une importante activité d'interprétation. On dit par ailleurs que la psychanalyse se targuerait d'échapper à la réfutation, donc serait autre chose que de la science.

D'une part, la réfutabilité n'est pas une condition de la psychanalyse : les sciences humaines plus que les autres, nous l'avons dit dans le second texte de cette série, nécessitent la critique. La critique, la possibilité de questionner les résultats est une condition d'exercice de la science. Il me semble qu'il y a un corollaire éthique à cela, car les nazis ont fait aussi des avancées scientifiques mais il est dur de le dire, ça pique ! Il y avait une pratique critique dans les cercles de chercheurs nazis mais, si c'était pour faire ce qu'ils ont fait de la science, on ne peut exclure que cette dernière doit reposer sur un fondement universaliste, humaniste, prenant comme soucis de départ le soin de l'humanité, le primus non nocere des médecins : en toutes choses, le plus important est de ne pas nuire. La science doit donc reposer non sur la réfutabilité, mais sur la possibilité critique ouverte aux membres de la communauté scientifique, mais aussi à la société dans son ensemble. Nous avons vu dans un article précédent, que la « démocratie » sans critique et sans éthique était une dictature (sous Pinochet aussi on votait ! )

Au sujet de la psychanalyse : cette dernière a évolué depuis les années 1905. Autant dire même qu'elle ne ressemble guère à ce qu'elle était dans les années 30, ni dans les 50, 60 ou 80 même. Elle est soumise en interne et dans la société à un « bombardement » de critique qui la font évoluer dans ses méthodes, pratiques, théories, etc. Enfin, elle n'est pas unie ni dogmatique et offre des grilles de lecture et d'interprétation complexes mais très pratiques. La métapsychologie, l'analyse pulsionnelle des rapports sociaux et de l'économie psychique, la théorisation systématique des processus inconscient est l'équivalent de la théorie de la relativité pour les sciences humaines. Ainsi, une science se caractérise moins par la réfutabilité que par son évolution. Il y a quelques semaines, l'enseignement de l'homéopathie était d'un trait de plume banni de l'université de médecine de Lille. Motif avancée par le doyen ? Cette discipline est la même depuis des décennies, elle n'a pas évolué. L'évolution d'une discipline est signe dans le temps de sa réfutabilité, même si les tôliers sont durs d'oreille – comme c'est le cas des continuateurs de Lacan, il faut l'admettre.

La criticité des sciences est soumise à un tir de barrage qui est celui des revues à comité de lecture. Ces dernières acceptent bien peu la remise en cause de théories dominantes. Sur ce blog, il a été évoqué la question de « la langue cachée de l'Amazonie » par Everett qui remettrait en cause la théorie (à laquelle j'adhère par ailleurs) de la clôture du langage. Confronté à ces résultats, des chercheurs comme Noam Chomsky (surtout lui d'ailleurs) ont orchestré l'exclusion d'Everett de tous les circuits universitaires. Au lieu de soumettre nos théories et « cosmogonies » à la critique, au lieu d'enrichir notre pensée par des apports contradictoires, Everett s'est vu mis au rancard. Entre temps, les tribus qu'il avait étudié ont disparues ou abandonné leurs coutumes. Il ne peut presque plus rien avancer comme nouveaux arguments. Il a été bâillonné sans ménagement aucun. Son cas est emblématique mais il n'est pas unique. Je dirai même il est quotidien, dans le monde universitaire. Des bâillons institutionnels sont posés de façon à ce que les programmes de recherche ne perdent pas en légitimité.

Enfin, l'explicitation et la communication des résultats n'est plus garantie non plus par la privatisation de la recherche. Les groupes financiers qui investissent dans la recherche souhaitent :

1-maintenir leur avance

2-éviter des résultats qui iraient contre leurs intérêts économiques.

Le cas de l'industrie pharmaceutique est le plus emblématique ; mais j'ai vu peu ou prou la même chose dans le management : des doctorant soudainement licenciés de leur CIFRE pour cause de résultats dérangeants. C'est un classique là aussi.

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