Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les niveaux et fonctions de l'idéologie (2.1 à 2.5- les fonctions de l'idéologie)

Publié le par Scapildalou

Les niveaux et fonctions de l'idéologie (2.1 à 2.5- les fonctions de l'idéologie)

En détaillant ces niveaux, plusieurs fonctions de l'idéologie sont déjà apparues. Si l'on essaie de faire une catégorisation exhaustive des fonctions de l'idéologie, il semble possible de réaliser la liste de fonctions suivantes :

1-une fonction de justification de la domination (fonction de discours sur la nature, ou de naturalisation de la domination)

L'idéologie sert donc de justification à un système de domination. L'ordre social repose dans la société pré-communiste sur une domination d'ordre économique : la classe dominante possède les moyens de production. Toutefois réduire le système de domination à cet unique axiome relève à tel point de la simplification que s'en devient presque un mensonge. La domination est d'ordre économique mais cette domination repose aussi sur un mode symbolique particulier : sans domination symbolique, pont de domination économique. Si cette dernière est prépondérante, elle est toutefois contingente à la domination symbolique.

La domination symbolique est habitée par des groupes sociaux dépositaires d'un pouvoir social, d'une autorité, et des attributs qui vont avec. La religion peut ainsi être un acteur de domination sociale mais non un acteur de domination économique. Toutefois les limites entre les espaces de domination respectifs des acteurs sociaux ne sont jamais strictement fixées. Les acteurs de la domination symbolique sont ainsi nécessairement proches de ceux qui exercent la domination économique. C'est d'ailleurs de ces acteurs qui sont à la conjonction de ces deux champs dont provient l'idéologie, c'est-à-dire le discours légitimant la domination.

Le petit patronat par exemple ou les possédants des moyens de production dans le tiers secteur sont relativement mis en marge de l'espace de domination symbolique de la société (malgré leur pouvoir parfois important au niveau local). Le discours qui prône la responsabilisation des acteurs, c'est-à-dire le discours de l'idéologie qui vise à ce que les acteurs prennent en charge eux-même les risques générés par la société, contraint ces acteurs plus qu'ils ne favorise leur domination.

Au contraire, une partie de la classe politique n'a pas de lien ou alors relativement ténus avec le monde économique (les hommes politiques possèdent peu de pratique de ce qu'est la domination qui s'exerce en entreprise) et pourtant ils exercent une domination symbolique indiscutable.

De même, au sein de certains groupes institués ou informels (amis, famille, etc.) il existe des jeux de pouvoirs symboliques avec les avatars qui leurs sont inhérents, sans pour autant que existe des relations de domination économique.

En revanche les relations de domination économique s'accompagnent nécessairement de jeux de domination symbolique.

L'idéologie a ici comme fonction de créer et faire vivre un discours justifiant l'espace de domination de ces acteurs.

L'idéologie est alors un discours ; comme discours il porte une force organisatrice qui s'impose à tous, quoique chacun s'approprie, souvent implicitement, une place dans ce discours. L'idéologie assigne, interpelle ; elle porte des jeux de langage, des raisonnements, et en fait des éléments de nature. L'idéologie définit ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas, ce qui est objectif et ce qui est subjectif ; elle organise les corps, les relations entre subjectivité et corps, entre soi et autrui ainsi que la place des corps et ce qui peut en être fait, et par qui.

Enfin, la force de l'idéologie implique une inertie : d'une idéologie il ne peut être fait table rase puisque la critique qui la détruira se basera sur l'essence de ce qui a donné naissance à cette critique : l'idéologie elle-même. Les contradictions qui amènent à la fin d'une idéologie prennent place dans la vie de cette idéologie. Donc le dépassement d'une idéologie prend appuis sur cette idéologie.

En effet, en définissant les places (fonction d'ordonnancement) l'idéologie sert la domination de celui à qui l'idéologie sert à conserver la place de dominant. Mais cette définition ne peut-être in fine qu'arbitraire en certains points fondamentaux. L'idéologie est un tissu qui se rattache à la réalité par quelques points de capitons mais il en reste sinon complètement délié : le discours, les jeux de langage et les raisonnements ne sont qu'une pièce rapportée. Ce ne sont que brodures, fils cousus à la main, décors qui viennent recouvrir le dur socle, le lit dur sur lequel on ne sait pas [référence est faite ici au proverbe arabe qui dit que « lorsqu'on ne sait pas que le lit est dur, on dors bien »].

Le tissus n'ayant rien à voir avec le dossier rigide, l'idéologie n'ayant rien à voir avec la réalité lorsque l'on se confronte au réel, il naît ici des contradictions. Par exemple, qui serait incapable de trouver des contres exemples à la devise « liberté égalité fraternité » ? Qui ne trouve ironique la phrase « ni césar ni tribun » de la bouche de ceux qui en défendent en chantant l'internationale ? Les exemples de telles contradictions sont légion, parce qu'ils sont inévitables.

Lorsque ces contradictions n'apparaissent plus légitimes, soit l'heure des dominants arrive à terme, soit l'idéologie évolue. Les jeux de langage changent, la logique change, les modes de domination changent etc.

2-une fonction d'ordonnancement de la société

Cette fonction a été évoqué partiellement ci-dessus. Toute appréhension du réel et la construction de la réalité s'effectue par le biais de catégories, de classements. Cette réification, cette mise en objet est nécessaire, sinon il s'agit d'une désignification de la réalité, donc finalement un refus d'appréhender le réel.

Imaginons un objet, dans votre salon, que vous êtes incapables d'identifier, de nommer, de comprendre l'attitude, etc. dont la forme varie et dont vous soupçonnez la dangerosité extrême. Qu'elle frayeur non ?

Les objets, événements, places et positions, etc. sont donc réifiés, substantifiés et classés. Toute organisation sociale repose sur une ordonnation en classes des éléments qui la composent. Certains anarchistes expriment à travers le slogan « l'anarchie, c'est l'ordre moins le pouvoir » cette idée que l'ordre social, c'est-à-dire l'ordonnation ou l'organisation de la vie sociale pour le dire autrement, est rattaché aux modes de domination.

Cette ordonnation, cette mise en ordre repose sur l'idéologie et la nourrie en retour. A travers des modes de création des catégories (issus d'institutions telles que les médias par exemple, la science, etc.) le nouveau, ce qui apparaît à la société lorsqu'elle se confronte à de l'inattendu ou lorsqu'elle cherche à évoluer, est classé, étiqueté (et « éthiqueté » aussi...)

L'idéologie est donc armée, ou du moins faudrait-il dire que ceux qui produisent l'idéologie arment le discours idéologique de points d'accroches qui permettent de classer le nouveau qui pourrait apparaître.

L'ordre social définit la place des choses et des hommes. Mais l'ordre n'est pas seulement un classement horizontal, les places sont aussi porteuses de valeurs. Certaines classes d'objet valent plus, d'autres valent moins, et ces valeurs évoluent suivant les groupes, les idéologies dont ils sont porteurs, et leur place face à l'idéologie de la classe dominante en particulier. L'ordonnation est donc aussi ordonnation hiérarchique.

L'idéologie se définit alors comme un discours de domination qui classe et attribue des valeurs aux membres d'une même société. Et, au sein de ce discours, existent des éléments de justification de ce même discours – éléments de justification qui doivent être plus puissant que les éléments de contradictions (et doivent servir à passer outre ces contradictions ).

3-une fonction d'alimentation servant d'appuis à la justification

Il serait faut de croire que je ne considère que la dimension « transpersonnelle » de l'idéologie et laisserai de côté sans les considérer les positions subjectives, celles que tout un chacun, dans sa singularité, occuppe. Ainsi, l'idéologie s'exprime dans tous nos mots, mais ces mots n'ont que rarement été prononcés tels quels avant que nous les prononcions. L'idéologie oriente les personnes mais si elle est discours, elle n'est pas dictée. L'idéologie oriente les personne dans un exercice de style mais chacun écrit le texte, chacun compose son récit.

L'idéologie fournie les signifiants, fournie les signifiés et les contextes qui permettent de les relier. L'idéologie est donc un vecteur de sens « c'est dans la définition que le mot prend sens, et non plus seulement dans son emploi » (cf l'article Le sens et la signification, ou « Conférer du bleu » sur ce blog). L'idéologie fournie les définitions, les contextes et les textes. Elle fournie des normes mais in fine une chose ne peut être fournie, c'est ce qui est fait effectivement des règles, normes, « outils », lorsque la personne se confronte au réel, à l'incertitude. Si l'idéologie fournie des certitudes, des choses naturalisées, l'individu apporte de l'incertitude, au moins parce que le sens de l'idéologie ne fait pas sens nécessairement pour lui, et que rester dans la ligne idéologique nécessite parfois plus d'imagination et de créativité que de s'en écarter.

L'idéologie tend à devenir totalisante et a fournir des espaces de créativité sécures où vont s'alimenter et se renforcer des éléments d'idéologie. L'idéologie est ainsi capable 1-de s'assurer des espaces où elle va se renforcer et 2-de s'approprier des moments où elle est en jeu sinon parfois en danger et se renforcer de ces moments où ses contradictions sortent de l'ombre.

Les niveaux et fonctions de l'idéologie (2.1 à 2.5- les fonctions de l'idéologie)

Par exemple, les publicités de certaines grandes surfaces qui s'approprient et détournent les slogans de mai 1968. Ou encore les codes couleurs et langagiers de l'extrême droite qui s'inspirent de ceux de l'extrême gauche. La façon dont l'idéologie dominante s'approprie les motivations écologistes est un autre exemple.

L'idéologie a donc une autre fonction : rajouter au décor existant, aux discours, aux jeux de langages etc. en vigueur, de nouveaux éléments chargés de protéger le cœur de la domination. Au passage, ces nouveaux éléments seront là aussi réifiés et naturalisés. Et, tout comme dans 1984 Winston Smith fini par s'approprier les critiques fallacieuses envers lui et à les accepter comme vraies, l'idéologie créé sa propre critique, évitant soigneusement les décalages ou bien les masquant, afin de conserver sa force de domination.

4-une fonction masquante (le voile idéologique)

L'idéologie a aussi, bien entendu, une fonction masquante. Le « voile idéologique » est une notion bien connue des marxistes et des contestataires de gauches (ceux de droite relevant non pas d'une démarche critique mais plutôt complotiste).

L'idéologie fabrique un voile afin de masquer les enjeux de la domination, mais surtout d'éviter qu'elle ne paraisse, tout simplement.

A ce titre, l'idéologie peut apparaître en des points critiques lorsque le débat devient binaire. Lorsque l'on en arrive à « l'oeuf ou la poule », c'est ici que se dévoile l'aboutissement idéologique. Soit on se centre sur un des deux pôles, soit on se centre sur leur dialogue (la dialogique qui pourrit, à mon sens, les sciences humaines, voir qui peut aboutir au relativisme) soit alors on décale les termes du débat. A ce moment alors et seulement à ce moment, s'exerce un décalage d'avec l'idéologie dominante.

Par exemple la question du port du voile. Est-on pour ou contre ? Le dilemme est de taille car les places dans ce débat renvoient à des positions individuelles complexes. Ainsi, des femmes voilées se situent effectivement et incontestablement dans une position émancipatrice (cf. le film un racisme à peine voilée). Bref, la question ne peut être tranchée, ce débat « pour ou contre » est une impasse qui sert de voile aux enjeux idéologiques.

La position critique consiste à passer par exemple, à mon sens, sur la question de la fonction du voile. Le voile ici (qu'on peine justement à ne pas assimiler à un élément du masque idéologique) est une continuation de la façon dont la personne choisie d'inscrire le corps dans l'espace. Il est une théâtralisation extrême de la face donnée au monde. Il en va de même (mais le mode d'inscription est différent) de l'exubérance actuelle des tatouages, de la plasticisation de la peau et du corps (implants, boucles d'oreille étendant les lobes, piercings, ablations, coiffures, etc.)

A défaut de pouvoir mettre en mot la position subjective dans un espace social en voie de désymbolisation (c'est-à-dire en voie de désagrégation, en quelque sorte), l'inscription de sa subjectivité passe par des inscriptions au sens propre sur le corps. Le voile devient un objet d'inscription de soi à un moment ou la société dévalorise la subjectivité au profit d'un relativisme créé par le marché (tout se vaut, tout s'achète). Non, l'humain ne se vaut pas et ne s'achète pas. Le marché apparaît naturel pour l'idéologie, il ne l'est pas.

La « solution » à la question du voile n'est donc pas dans le pour ou le contre (chacun de ces deux points regroupant des points de vues et ambitions opposées) mais dans la création et la socialisation d'espaces de dialogue et d'échanges dès le plus jeune âge - d'espaces de réflexivité et de possibilité d'insertion dans le lien social et d'acceptation de la différence et des conflits que génère cette différence. Derrière cette ingénierie, doivent être portées des valeurs d'émancipation. Un projet social éloigné de celui du marché qui abouti, nous l'avons dit, à ne concevoir de valeur que celle de la marchandise, et pousse chacun à s'inscrire de façon à dire « je suis plus qu'une marchandise », quitte à trouver des réponses qui sont de l'ordre de la destruction.

L'idéologie porte donc un voile qui masque les conflits, le sens de la domination. Ce sens, dans une société capitaliste, est la domination économique absolue, quitte à faire des corps une marchandise.

5-(ou 4 bis) une fonction d'inversion et d'amorçage de la violence (de contrôle social par l'orientation)

Ce qui est intéressant, c'est aussi le phénomène masquant qui est l'inversion. Toute idéologie affiche des valeurs qui seront justement celles qui ne seront pas respectées. Par exemple « liberté, égalité, fraternité ». Il est rien de moins que très facile de prouver que le système français pousse à l'extrême inverse de cette devise. Cette fonction de l'idéologie apparaît de façon éclatante dans 1984 : « la paix, c'est la guerre, la liberté c'est l'esclavage, l'amour c'est la haine ».

La publicité par exemple, en vantant l'a puissance des produits, donne en fait la frustration et affirme l'impuissance de celui qui n'a pas ce produit. Mais elle affirme en creux aussi l'impuissance de celui qui aura ce produit, puisque sans lui il n'est rien et finalement restera ce même rien car comment croire qu'un produit puisse faire de vous ce que vous n'êtes pas ? Un déodorant vous rendra-t-il plus performant ? Un dentifrice vous fera-t-il aimer de tous ? Le croyez-vous sincèrement ?

Bref, dans tout slogan clamé, toute ambition affichée, tout mot d'ordre exprimé, il faut entendre ce qui de l'inverse de ce mot, slogan ou ambition est effectivement visé.

Commenter cet article