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Opium !

Publié le par Scapildalou

Pour commencer, voici trois versions d'une même chanson, dont on ne peut supposer les auteurs partageant les uns les autres de mêmes idéaux...

Opium !

Cette chanson est peut-être la seule que j'ai entendu chanté par les cœurs de la légion étrangère, des chanteurs de variété et un groupe anarchiste (version que je n'ai hélas pas pu retrouver).

On peut se dire que son écriture est suffisamment belle pour faire vibrer en nous, chez tous, une fibre poétique ou esthétique. On peut aussi évoquer un message universel mais en ce cas il manque de savoir ce qui le rend universel. Personnellement, je pense que ce qui touche au plus profond est quelque chose de culturel, un même penchant, une même évocation de notre imaginaire. Je pense que cette chanson touche au radical d'un imaginaire occidental.

Détaillons le fond du message qu'elle contient.

Opium !

1-Le fond de la forme

1.1-L'exotisme

La chanson place directement l'auditeur en Indochine (« Dans le port de Saïgon, il est une jonque chinoise »), dans ce Vietnam colonial (Saïgon, l'ancienne Hô-Chi-Minh-Ville d'avant l'indépendance), cet extrême-orient mystérieux. C'est d'ailleurs le second vers de la chanson (« mystérieuse et sournoise »).

La chanson rappelle l'introduction de La condition humaine de Malraux, ou encore celle d'Apocalypse Now où Willard (Martin Sheen), en sueur, ivre, regarde par la fenêtre « Saïgon, still Saïgon » murmure-t-il abruti d'alcool et de chaleur.

Saïgon, c'est l'évocation de cet imaginaire colonial aujourd'hui disparu – le colonisation est profondément liée à la disparition. L'imaginaire colonial renvoie depuis la découverte de l’Amérique à une altérité auparavant ignorée.

En découvrant l'Amérique, Colon pensait arriver aux indes, dans la quête d'or et de richesse qui était celle de l'occident. Magellan plus tard montre, grâce à la première circumnavigation que la terre est ronde. Ces hommes sans dieu que sont les caraïbes, ne sont pas les chinois ni les indiens. Qui sont-ils ? Sont-ils même des hommes ou des bêtes ? Ce sera la conférence de Valladolid qui tranchera. Mais pour toujours l'amérique sera l'exotisme, l'ailleurs, l’Atlantide que les grecs avaient seulement imaginé. C'est une Atlantide, un nouveau monde où tout est possible, tout est à prendre.

L'imaginaire de la colonisation né ici, à l'ombre de palmiers tropicaux, dans une moiteur. Exotisme porte, étymologiquement, le sens d'un au-dehors, d'un ailleurs imaginaire chaud, de la différence, de la confrontation à l'altérité. C'est le premier pôle mis en exergue par la chanson opium.

L'ailleurs évoque dans l'imaginaire-atlantide, l'imaginaire né de la découverte du nouveau monde, une nouvelle identité, un nouveau commencement, la possibilité d'être un autre soi. « 'Je' aimerai être un autre » en quelque sorte. L'ailleurs c'est donc une confrontation à un impossible à être dans une vie difficile, un paradis sur terre, qui peut être atteint au terme du voyage, une route initiatique.

1.2-« Fume, c'est du mège » : l'hédonisme

Mais ce paradis peut-il être réellement réel et se passer d'artificiel ? La chanson répond par la négative ; le chanteur fuit dans la drogue, dans l'opium. Malraux fumait de l'opium lorsqu'il pillait les temples de cochinchine.

L'opium et les stupéfiant sont indissolublement liés à l'imaginaire de l'ailleurs. Céline, dans voyage au bout de la nuit décrit les colons comme des hommes sans cesse ivres ; Willard au cours de sa remontée du fleuve sors de son ivresse mais ne manque pas de fumer de l'opium préparé par Aurore Clément (Roxanne Sarraut de Marais) elle-même confrontée à la disparition de son mari, lui-même perdu (elle en parle comme étant un « soldat perdu »).

L'opium rentre alors dans la création de l'oubli, parce qu'une fois ailleurs reste le soi, reste aussi l'image de la perte, cet autre ailleurs en soi perdu, cette fusion, ce vide qui est à la base de l'identité. Parce qu'ailleurs ne suffit pas et que le voyage n'est pas seulement physique, il est aussi initiatique et rituel. La drogue devient un moyen de s'évader, de sortir de son corps pour toucher l'éden, ce paradis dans lequel se trouve le voyageur arrivé en terre d'exotisme.

L'Hédonisme est le deuxième pan de ce tableau.

Opium !

1.3-No woman no cry

Mais la fuite vers la drogue est justifiée dans la chanson par l'amour perdu. L'érotisme est le troisième terme clef de la chanson. L'ailleurs est dans la mentalité occidentale l'évocation de la femme facile, de l'exercice d'une sexualité libérée – libérée des contraintes occidentales.

« J'avais quatre femmes dans mon lit au temps béni des colonies » affirme l'autre tocard, les « amours nègres » et les bordels ont fleuris autour des routes commerciales et dans les ports lorsqu'ils sont devenus lieux de passages pour des marins du monde entier.

1.4-En guise de conclusion avant d'aller un peu plus loin

Bref cette chanson est le point nodal autour duquel s'articule autour de trois concepts inter-reliés : l'exotisme, l'érotisme et l'hédonisme.

D'un certain point de vue, je pense que cette chanson est très représentative de la dynamique du lien social actuel.

Opium !

2-Un triptyque actuel

2.1-Le jour d'ailleurs

Ce triptyque ne m'est pas apparu seul. J'étais sur le duo exotisme-érotisme mais l'importance de l'hédonisme s'est révélée lors de la re-lecture de La Rumeur d'Orléan d'Edgar Morin. La rumeur d’Orléans et les rumeurs en général reposent en grande partie sur ce triptyque.

C'est autour de ce triptyque que s'articule les migrations transitoires de la jeunesse depuis les années 1970 jusqu'à aujourd'hui – en sachant que jamais autant qu'aujourd'hui les jeunes ne sont partis aux antipodes.

Ce tropicalisme créé par l'imaginaire colonial est toujours à l’œuvre ; autour du triptyque le composant s'articule les espoirs d'une jeunesse rêvant d'un ailleurs pour fuir un ici beaucoup trop lourd.

2.2-Mode d'emploi

Toutefois, cet imaginaire tropical ne remporte pas nécessairement l'adhésion de tous. Certains restent sur un imaginaire non colonial mais, la mise en évidence des relations entre exotisme-érotisme-hédonisme au sein des discours peut mettre en évidence la place subjective que se sent occuper un sujet dans le monde actuel.

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